Tu as perdu. Tu as perdu mais je me retrouve en perpétuel combat. Lyssia, pourquoi t’acharnes-tu à prendre plus de part dans ma vie que je ne le voudrais ? J’arrive à ta hauteur, et tu es toujours plus grande que moi, mon reflet. Si tu prenais ma place, je n’aurais plus de cœur. Mais si tu prenais ma place, tu suivrais tes envies, toujours plus dévorantes. Une dépendance s’installe, et tu ne restes pas de marbre. Ton paradoxe nous ferait du mal : un cœur et une morale remplacés par une passion et un besoin. Toi qui te voulais si indépendante, si froide, si distante... Tu ne serais donc que condamnée à arrer en cherchant sans cesse une lueur d’espoir et de chaleur...
Lyssia, c’est à moi de te protéger aujourd’hui, en refusant que tu prennes ma place. Moi, ton cœur, ai décidé d’être froide et distante afin de rompre cette curieuse dépendance que tu ne souhaites pas voir terminer. Car un esclave se trouve une raison lorsqu’il se prend d’affection pour son maître, et est aveuglé par lui-même alors qu’il aurait besoin pour s’en défaire qu’on lui ouvre les yeux. Lyssia, c’est à mon tour de prendre soin de toi, de prendre ta place et ton comportement pour te protéger de toi-même. Le chemin menant à ta liberté sera longue et tortueuse, certes, mais nécessaire, car je ne peux te laisser ainsi, je ne peux nous laisser entre deux comportements, entre deux envies, entre deux paradoxes.
Lyssia, petite boule noire recroquevillée sur le sol, toi qui te noie dans l’eau de tes larmes, je me reflete dans ce miroir liquide qui me renvoie une image inquiète et contrastant avec cette couleur d’ébène dont tu es recouverte. J’aimerais te tendre une main immatérielle ou te prendre dans mes bras, mais cela ne ferait que raviver un souvenir que je voudrais t’aider à combattre, et je ne peux que m’éloigner en reculant, le visage triste et le tien tremblant, et je te laisse seule, penser à ces instants passés, à te torturer dans ta solitude, en attendant que, trop blessée, tu parviennes enfin à oublier et à laisser place à une raison qui n’aurait jamais dû quitter ton esprit corrompu.
Je ne veux pas être toi, pas plus que je ne voudrais être moi, mais l’une comme l’autre nous sommes vouées toi à me haïr, moi à t’aimer, mais chacune à s’aider tour à tour au lieu de se tuer comme nous le désirons parfois si violemment. Combien de fois nous sommes-nous regardées, moi, ma soeur, mon autre et mon reflet, toutes deux le même poignard doré dans la main, n’attendant qu’un geste ou qu’un signe de l’autre pour s’entretuer, le rouge de nos deux sangs mêlés rapprochant enfin le noir et le blanc trop longtemps séparés ? Combien de jours, ma soeur, nous sommes-nous blessées, mordues jusqu’au sang avant que celle qui blessât l’autre ne l’allonge pour la soigner avant de reprendre cet éternel combat qui nous unit ?
Lyssia, nos deux moi sont intimement mêlés quoique séparés presque à jamais, sans que l’une ou l’autre nous ne nous rencontrions, dans le pire ou le meilleur. Je prends ta place comme tu prends la mienne, et si nos rôles sont inversés à ce jour, nos deux âmes ne se rencontreront toujours que dans la peur et dans le mal.