Elle a réussi. Elle a encore réussi. Cette fille pleine d’avenir qui semble toucher les étoiles par son succès, sa facilité à réussir tout ce qu’elle entreprend, son intelligence et sa faculté à tout faire, tout comprendre, plus vite, et mieux que les autres. Elle a encore réussi. Jusqu’où ira-t-elle, sans peur, sans échecs ? Jusqu’où avancera-t-elle, devant tant d’autres qui l’admirent et qui l’envient ? Jusqu’où jettera-t-elle sur nous un soleil resplandissant, des paillettes innombrables et l’image de la réussite, de la vie parfaite ? Jusqu’où jettera-t-elle sur nous une ombre d’envie et de désespoir, d’impression d’être raté, d’avoir raté, tout raté, d’avoir oublié ce que c’est que la satisfaction ?
Et elle avance, avec toutes les cartes dans les mains. Elle, proclamée dame de carreau par son frère angélique, avec un roi de cœur qui la soutient et qui n’a assisté qu’à ses réussites flamboyantes. Elle, admirée et enviée pour le roi de cœur qu’elle tient dans sa main, alors que tant d’autres, comme elle, elle, ou elle encore convoitaient. Elle, qui semble toujours première, toujours souriante, toujours gagnante... Et qui ne tombe jamais. Elle, qui ne s’essoufle pas, sans point faible ni regards en arrière, toujours battante, toujours gagnante. Toujours là, inébranlable, indétrônable. Réussie. Elle a encore réussi.
J’ai encore réussi. Et je regarde en arrière, vers tous ceux qui m’observent, m’envient, me haient. Et je regarde vers eux, consciente que le moindre faux pas serait fatal. Et je regarde vers eux, me demandant quand arrivera l’échec inévitable, quand commenceront les trébuchements. Je me demande combien profiteront de ma faiblesse pour m’arracher ces lambeaux de peaux qui tomberont forcément. Je me demande qui profitera de ces faux pas pour m’arracher ces lambeaux de vie, si prompts à se détruire, si prompts à disparaître. Et je me demande quand cela arrivera. Car cela arrivera. Tout le monde joue. Tout le monde perd. Tôt ou tard. Je joue, je gagne. Pour l’instant...
Alors regardez-moi, admirez-moi, comme la Dame de Carreau accompagnée de son roi de Cœur, regardez jalousement ce que vous pensez que vous ne serez jamais. Mais que vous dire... Sinon que je ne suis que le fruit de souffrances et d’un travail immense. Que vous dire, sinon que c’est lui qui me tire vers le haut et m’aide à réussir. Que vous dire, sinon que j’ai peur, moi aussi, de trébucher et de tomber. Que vous dire, sinon que je redoute le jour où tout s’écroulera. Que vous dire... Sinon que la prochaine fois, je ne réussirai pas.