Avec Catherine et les enfants, nous allons à la plage. Ce n’est pas la mer mais un lac, un lac de retenue sur la Dordogne, quelque part dans le Cantal. L’eau est un peu verte mais chaude et la pente est douce jusqu’à ne plus avoir pied, ce qui nous rassure comme parents. Sur le sable aléatoire, de gros caillous aux arêtes coupantes empêchent de s’allonger pleinement et niquent les pieds. Il y a foule. Il fait tellement beau !
Pendant que Catherine passe de la crème solaire à la marmaille qui trépigne d’aller au plus vite dans l’eau, j’installe les draps de bain, pose la glacière à l’ombre d’un pin et retire mes frusques. Je gonfle, aussi, une énorme baleine à poignées en plastique bleu et gris, avec la bouche. A quelques mètres à peine, un surfeur hollandais (s’il n’a pas de planche, au moins en a-t’il le physique) affublé d’une troupe de blondinets hurleurs et d’une batave plantureuse, sort de son sac une pompe éléctrique alimentée solaire que j’avais vu quelques temps plus tôt dans le catalogue du « nieuer mench » et sur Internet, sans oser l’acheter. Puis, alors que je m’épuise à souffler dans la valve, il déploie une sorte de dinosaure pantagruellique qu’il met moins d’une minute motorisée à emplir l’air. Le truc, vert et rouge, crachant des flamme en polypropylène de deux mètres de long provoque l’admiration de toute la plage. A côté, mon cétacé encore fripé est à la fois malingre et ridicule. Ruud fait le fier et court à la grêve comme dans une pub pour le shampoing, projette le monstre à l’eau comme s’il inaugurait le Titanic, se tord le pied sur un pavé et s’étale de tout son long dans l’onde saumâtre. Ses gamins, esbaudis par l’admirable acrobatie de leur géniteur se précipitent dans l’eau à sa suite et miment la même chute en riant, alors que Ruud souffre, grimace et que le dragon s’échappe vers le large porté par un vent de terre léger mais constant.
Hurlant de rire, j’arrête de gonfler ma baleine et une tonne d’air s’échappe de Moby Dick, réduisant à néant les dernières minutes de mes efforts pulmonaires, faisant ressembler le cétacé à un préservatif après usage.
Ruud se relève et boite jusqu’à sa serviette. Wilhemina lui masse tendrement le pied. Je gonfle de nouveau. Catherine, revenue de plonger la tête des gamins sous l’eau (sans les noyer, ce dont je suis incapable et c’est donc elle qui le fait), s’étale sur son drap de plage, est adorable dans son bikini rouge, mériterait une alcôve où nous pourrions explorer nos sens hors de toute proportion.
Do you want the pump ?
Ruud est à côté de moi et mate affreusement le corps de Catherine.
Do you want my wife ?
What ???
(Pour la bonne comprehension de tous et parce que nous parlons, Ruud et moi, un anglais courant (sic !), je continue cette discussion telle qu’elle aurait été traduite par une interprête accorte de l’ONU, habituée, elle aussi, aux conflits.)
Tu relucques ma femme ou je rêve (Am i dreaming or you’re watching my wife) ?
Mais non, je viens te proposer ma pompe (for sure not, i’m just proposing the pump) !
Tu me prends pour un jambon (do you take me for an ham ) ?
J’en ai rien à foutre de ta grosse (never mind the bollocks with your ugly elephant) !
Quoi, ma femme elle est grosse (and so my wife is fat ) ? T’as vu la tienne (have you seen yours) ?
Comme j’ai le droit pour moi, ne serait-ce que parce qu’un string de Wilhemina pourrait spinnequer le bateau de Philippe Poupon et abriterait facilement une garden party élyséenne (alors que le même string de ma frêle Catherine permettrait à peine de déboucher une narine nationale), je frappe le premier et Ruud prend ma main dans la gueule. Paf !
Le batave recule sous le choc et heurte violemment le tronc rugueux d’un pin centenaire. Ainsi choit-il sur son séant. Il a mal à la face et au dos comme au cul. Mais le gaillard est Ruud (ah ! ah ! ah !). Il se relève très vite et lance sa jambe en avant. Son pied, à toute vitesse, s’écrase dans mon sternum replet. Ouch !
Mais, par réflexe, je l’attrape et le tords brutalement. Aie !
Puis je tire vers le haut et Ruud s’écrase férocement sur un tas d’aiguilles silvestres et de pommes séchées. Grrrr !
Je ne lui laisse pas le temps de se reprendre et je lui saute dessus. Quatre vingt dix kilos (avoués, donc pardonnés) s’abattent sur sa carcasse endolorie. Mes doigts cherchent sa gorge, s’aperçoivent qu’ils tiennent la baleine, s’en accomodent, en font une arme léthale qui prive d’air les poumons pays-bassiens. Le visage de l’homme prend la même teinte bleue et grise qu’inflate Moby. On pourrait les confondre. Gaiement, je l’étouffe.
La victoire est proche. Il va expirer.
Claude !
Catherine !
Lâche le maintenant.
Je vais l’avoir ce fils de ...
Lâche !!!
Ok !
J’écoute la voix de la sagesse. Je desserre mon étreinte et, immédiatement, le visage amsterdamien (ou rotterdamien, ou maastrichtien, ou ...) retrouve des couleurs plus normales et le corps hollandais de la vie, comme une tulipe qui se redresse dès qu’on lui donne à boire.
Merci !
Tu sais, je n’allais pas le tuer !
Hum !
Je m’écarte et tourne face pour rejoindre mon camp. Ruud, le fourbe, est déjà sur ses pieds. Il saisit une branche et dans une posture dimaggiesque, il se précipite sur moi pour tenter le home run avec mon arrière train.
Ruud ! Nie !
Wilhemina !
Si je n’entrave rien au hollandais, je comprends à l’intonation que mon agresseur se fait sérieusement remonter les ailes du moulin et, parce que j’entends le mot « kind », je devine aisément que notre algarade fait désordre devant les enfants, les siens, mais aussi les miens et l’ensemble des bambins de la plage qui se sont détournés de leur amusement aquatique pour regarder les deux grands cons se battre. Quel exemple !
Pendant que Ruud se fait tancer, Catherine m’attrape par le bras et nous nous éloignons vers nos serviettes. Mon ventre me fait souffrir et j’ai une empreinte d’au moins quarante quatre qui gâte mon bronzage. Quant au dutch, je suppose qu’il aura mal partout, au long de sa quinzaine française, gardant un cuisant souvenir de sa campagne cantalienne, tant corporel qu’égotiste.
Viens là et assieds toi !
M’ordonne Catherine en montrant ma grande serviette bleue tout chiffonée par les débuts de la bataille. Pour la remettre en ordre, j’attrape deux coins et je la secoue vivement. Un truc en tombe.
La pompe !
Merde !
Catherine regarde l’objet.
Tu vas lui rapporter, tout de suite !
Non ! Vas-y, toi !
Pas question ! C’est fini maintenant. Tu lui rapporte sa pompe, tu en profite pour t’excuser et on en reste là.
Cath...
Vas-y !
Ok !
La queue basse, je ramasse la pompe. Je fais quelques mètres. Je m’arrête. Je regarde en arrière. Catherine a les poings sur les hanches, ferme. Je n’ai pas d’issue.
Les bataves ne m’ont pas vu venir. Tout près d’eux, je me gratte la gorge.
Hum !
Ils se retournent. Ruud ne paraît pas si amoché et Wilhemina, de près, n’est pas vilaine. Elle a des yeux clairs et profonds. Ses cheveux sont d’un blond divin. Plus bas, ses seins explosent le lycra d’un maillot trop petit (forcément !) et invitent à la perdition mamaire. Un court instant j’envisage le rapprochement entre les peuples, l’entente cordiale, la fusion européenne et, même, pourquoi pas un bon vote dans sa constitution.
Euh ! J’ai retrouvé votre pompe (i found your pump) !
Je lui tends l’engin, près à m’excuser. Il la dédaigne et c’est Wilhemina qui se plante devant moi pour attraper l’engin. Mais son mouvement fait irrémédiablement glisser la sorte de paréo qui ceingnait son beau ventre blanc et masquait l’étroitesse de son string. Promptement je me baisse pour ramasser le fin tissu (geste inné de la bonne école galante française) et me retrouve nez à ... poil avec le sexe de la dame que j’ai beau essayer d’ignorer mais ne peut vraiment pas.
Putain, tu relucques ma femme ou je rêve ! (hell, you’re looking at my wife or...)
...