L’Afrique la nuit vous chante des mélopées
Boubous senteurs manioc
Pili- pili pointes de cris,
Oiseaux junglants et singes hurleurs
L’Afrique la nuit, un train qui siffle
Une fois, trois fois
Entre les dents,
Rails déchaussés
Et accident.
Douala.
Un seul quai. Pour un seul train. Un seul voyage.
Les eaux du port, écume caramel du coucher de soleil sur fondu- enchainé de
latérite et de boue, fument leurs derniers instants avant le départ des
chalutiers. Contre les hangars prêts à s’effondrer, toute une ruche remballe
prestement les restes du marché ambulant venu s’installer là au petit matin.
Parfum âcre de morue pourrissante mêlé à la verdeur légèrement punaisée de la
coriandre . Les femmes sont belles, croupes douces et flottantes, et au sommet
de leurs oscillations, une de ces bassines chargées jusqu’à la gueule qui
contient tout leur barda du jour. Il faut rejoindre un autre quai. Une autre «
Cohue des "au revoir". Celle du train.
Un parcours du combattant d’atteindre notre wagon au milieu de cette foule
résolue qui va jusqu’à la dernière minute essayer de vendre son maigre étal
avant de repartir, à pied le plus souvent, vers le village ou les « déjà
banlieues », comme ils disent,de carton et tôle ondulée.
Il est d’une beauté époustouflante ce peuple Bamiléké. La peau d’un noir
presque bleu et les yeux vert lagon. Souvenir phosphorescent des eaux quand la
mer n’appartenait encore qu’aux gousses effrontées des pirogues. Souvenirs
d’amours entre les belles aux reins de nuit et les vikings perdus dans ce pays
de volcans, crevettes et diamant.
« Et j’entends siffler le train..
« Que c’est triste un train qui siffle...
Il est étonnant ce train. Une vieille Micheline à chaque extrémité, auxquelles
sont ficelés des wagons à bestiaux et des copies presque conformes de l’Orient
express.
20 heures. Nous serons à Yaoundé dans très précisément 22 heures.. si tout va
bien.
Le plus dur aura été la journée, chaleur décourageante, d’une épaisseur que l’on
n’imagine pas en Europe. L’air aquatique qui s’insinue partout jusqu’à faire
souhaiter une vraie noyade ne laisse aucun répit. Mais il y a surtout la
présence lisse du canyon de verdure dans lequel se faufilent les rails,
gigantesques foulards tendus de part et d’autre de la voie et escamotant au
regard la plus petite idée du ciel.
Peindre le silence
De ce mur d’émeraude
Primitif et immense
Peindre la foret muette
Et les grands yeux qui guettent
L’homme avide qui rode
Peindre la prudence
De la jungle blessée
Lorsque l’homme apparait
Peindre les cris
De l’ivoire sculpté
De la chair dépouillée
Du pelage sans vie
Peindre les muscles verts
Des arbres cannibales
Qui enserrent l’or pale
De l’humaine chair
Et l’absolue jouissance
Point d’orgue du silence
Chlorophylle. Englouti !
Le prédateur maudit.
Des chants
D’oiseaux
Jaillissent
Subits.
Le plus étonnant, c’est la nuit. On roule à 10 à l’heure environ. La touffeur
est telle que vitres ouvertes,happant la moindre brise, nous n’avons d’autre
loisir qu’attendre que cela se passe et ne sommes pas déçus.
Toute la nuit vont se succéder le long de la voie ferrée des caravanes de
marchands ambulants profitant de la lenteur très slow du convoi pour venir
vanter leur camelote. Toute la nuit des gens vont monter puis descendre, comme
d’un omnibus.
Ici on s’arrête pour laisser passer un berger et son troupeau de zébus, là on a
le temps d’entrevoir dans les futaies les mille yeux silencieux suspendus en
guirlandes aux branches. Là encore, le train stoppe devant la détermination d’
un « s’en -fout- la -mort » enveloppé de sa nébuleuse de cuivre, qui arrive
d’une transversale taillé au coupe-coupe, roulant en moyenne sur deux roues au
lieu de quatre, prêt à exploser dans la nature ses cages de volatiles et la
troupe de jeunes femmes qui reviennent du marché , trop heureuses d’aller plus
vite que la modernité.
Pendant ce temps, des enfants viennent faire la manche, s’agrippent à la fenêtre
ouverte pour explorer des yeux notre cabine, puis « nous quittent sans un adieu
» emportant un bonnet ou une écharpe qu’ils négocieront aux passagers en
transit vers l’Europe, laissant en souvenir de ce troc improvisé quelques noix
de cola -café de là-bas- et un peu de leur regard accroché aux fausses
boiseries.
-Ton train, mam’zelle, c’est taxi-brousse ..
22 heures le lendemain.
Le train a sifflé toute la nuit. D’une voix aussi lasse que celle de Richard
Anthony.
Il s’arrête à environ 200 mètres de la gare. Depuis des années, les rails y sont
défoncés, il n’y a personne pour réparer. A force de voir dérailler la loco tous
les deux jours au même endroit, les autorités compétentes ont décidé qu’il
terminerait son voyage un peu plus tôt..si on peut dire.
Un train slow slow...
Ce n’est pas triste un train qui siffle dans la nuit !
"J’entendrai siffler ce train toute ma vie..."