Florent de Franciscain, de son vrai nom Simon Portafeu, est âgé de quarante cinq ans. Grand, maigre, le visage blafard, des poches sous les yeux dues à l’abus journalier d’hallucinogènes pour oublier sa gloire passée, il reste là derrière son ordi à chercher l’inspiration sans grand espoir malheureusement ; pas le moindre petit mot à caser dans son nouveau roman, pas la moindre ébauche de phrase ne lui viennent à l’esprit. Il est à sec, la source de son imaginaire tarie alors que son éditeur attend depuis un mois déjà la bombe de l’année littéraire. Que va-t-il lui donner à lire ? Rien ! Cela n’avance pas...
Il a forgé son pseudo sur un seul roman intitulé « Dessous l’armure » Cela a été le jack-pot, de l’or en barre il en était fier mais il y a déjà dix ans de cela et depuis il vivote entre son clavier et quelques bouquins bâclés où il parle de choses tranquilles : la couleur du pommier en fleurs ou l’odeur du purin en hiver… Pas vraiment passionnants comme thèmes mais au moins cela fait bouillir la marmite et sa femme, « bobonne » comme il la surnomme, se tait un peu. Aujourd’hui, il est tranquille... elle est partie avec les mioches faire le tour de l’île à vélo. Depuis peu, elle s’est prise d’une nouvelle marotte, elle apprend à parler anglais en conversant avec les touristes et lui qui ne sait dire que « bonjour » « au-revoir » et encore... avec un accent des plus franchouillards trouve cela bien. Où il ne la suit plus du tout c’est quand elle veut compter en milles. Cela fait aristocrate semble-t-il..
Aristo de mes fesses oui ! Tu parles, son vrai nom est Portafeu…elle semble l’oublier et puis compter en milles qu’est-ce que cela va lui apporter ? Elle ne sait déjà pas ce que fait un milles en mètres alors vingt-neuf ou quarante deux milles, c’est complètement inutile. A moins qu’il n’ y ait un bel anglais sous roche, Simon ne voit pas à quoi cela lui servira ... Anglais, allemand, français, amants ou pas, faites qu’elle foute le camp le plus vite possible, qu’elle fasse sa vie ailleurs, cela fait belle lurette que je ne l’aime plus... si je l’ai jamais vraiment aimée un jour pense-t-il au travers des brumes qui troublent son esprit.
« Bobonne » il l’a rencontrée à l’époque de son succès alors qu’il était au sommet de sa gloire. L’argent plein les poches, il fréquentait les boîtes de nuits, les snobs et les belles nanas. Chimène était pulpeuse à souhait, une poitrine et un cul à faire pâlir les saints du paradis, difficile de résister à ces atouts. Beau et séduisant lui-même, il l’avait emmenée dans une chambre chic pour une nuit de jouissance totale. Le lendemain, il l’avait déjà oubliée mais pas elle.. Elle était revenue à la charge, un mois plus tard, lui annonçant qu’elle était enceinte de lui. Que pouvait-il dire ? Il ne se rappelait pas avoir pris les précautions d’usages, à l’époque le sida n’existait pas. Sachant qu’il était plein aux as, elle l’avait piégé. Il dû absolument l’épouser très vite, les parents ne rigolant pas avec la moralité de leur fille... Le rejeton était arrivé huit mois plus tard. A cette période de leur union cela allait bien entre eux, il n’était pas encore descendu de son arbre et rêvait que cela allait durer toute une vie ... Grossière erreur !
Ce n’est pas doucement qu’il était retombé les pieds sur terre mais plutôt brusquement tiré vers la réalité par le coup de téléphone de son agent.
L’agent - Dis donc Coco, il est temps de reprendre ta plume et de nous pondre un super truc du même genre que « Dessous l’armure » D’ailleurs, j’ai un titre pour toi,
“ La grande blessure”
Simon - Quelle blessure ? Je n’en ai jamais eues de grandes et puis, j’ai encore du temps, l’autre livre se vend encore bien.
L’agent - Justement Coco, faut en profiter pour en sortir un autre dans la même veine
Simon - Je ne vois pas ce que je pourrais raconter, vu que j’ai tout dit dans “ Sous l’armure”
L’agent - Après ta vie, tu pourrais passer à celle de ta mère contrainte de faire le trottoir pour vous élever toi et tes frères.
Simon – Impossible d’inventer une histoire pareille, ma mère est vivante, je refuse de lui faire du mal à raconter des bobards de la sorte.
L’agent – Fais ce que tu veux Coco mais il me faut le premier chapitre pour la fin de la semaine.
Simon s’était remis au travail mais pas le moindre bout de chapitre ne fut en vue pour la fin de la semaine. Dix ans après, l’agent attend encore. Le pognon a fondu plus vite que l’arrivée des mioches. Est-ce-ce les siens ? Il ne le sait pas. Il passe son temps entre son bureau à écrire des navets et son lit lorsqu’il est ivre ou zoné à bloc par la drogue.
Aujourd’hui, ne pouvant plus supporter son état, il se décide à se prendre en main mais n’est-il pas trop tard ? Et s’il faisait la paix avec Chimène… Chimène un si joli prénom… Chimène, sa muse ? Déjà Simon-Florent ressent des fourmillements dans ses doigts.