Les yeux encore emplis de sommeil, Aline entre dans la cuisine traînant les pieds et vêtue de son sempiternel peignoir délavé qui dans une autre vie a du être rose. Petit matin laborieux comme d’habitude, les somnifères qu’elle prend depuis des années font de chaque réveil un effort de plus en plus difficile à surmonter. Machinalement, elle se dirige vers la cafetière, ouvre un placard et en sort une tasse qu’elle remplit à moitié puis s’assied devant la table en baillant. Elle regarde la pendule : 7h. Dans un quart d’heure, elle devra réveiller les enfants et les préparer pour l’école.
Dis chérie, tu n’as pas vu ma cravate bleue ?
Elle sursaute, la voix de son mari l’extirpe de ses pensées.
Ta cravate bleue ?
Elle réfléchit quelques secondes, puis ajoute :
Regarde dans la penderie, elle doit être accrochée là, mais dis donc, je te croyais parti. Tu as vu l’heure ? Tu vas être en retard !
Pas de souci ! Finis les embouteillages et les routes de campagne où tu ne trouves pas le moindre panneau indicateur ! Et tout ça grâce à quoi ? A ça !!
Gabriel, avec fierté, brandit devant Aline interloquée une petite boîte noire et la pose devant elle, puis repart vers la chambre en quête de la fameuse cravate. Une fois revenu à la cuisine, il ouvre un tiroir, empoigne un paquet de piles et s’assied en face de son épouse. Elle l’observe souriante s’affairer à programmer le GPS, comme un enfant découvrant un jouet tout neuf. Soudain, d’un air triomphant, il annonce :
Calcul de l’itinéraire... ça y est, regarde, il m’affiche le trajet, le nombre de kilomètres, le temps prévu et tout et tout, ce truc est gé-ni-al !!!
Parfois quand je te vois t’enthousiasmer comme ça pour rien, je me dis que ce ne sont pas deux gamins que j’ai à la maison mais trois ! Bon allez, file maintenant, GPS ou pas, il faut quand même que tu ailles travailler !
Oui, cette fois, tu as raison !
Sois prudent.
Gabriel, tout en faisant son nœud de cravate, l’embrasse et avant de fermer la porte lance un « à ce soir » tonitruant.
Il ouvre la portière de la voiture, boucle sa ceinture, installe sur le pare-brise le précieux boîtier et démarre. Le sourire aux lèvres, il écoute les indications données par la voix féminine et se prenant au jeu instaure un dialogue avec la présence virtuelle qui de temps à autre égrène ses instructions monocordes, prenant le relais sur la radio :
Au rond-point, prendre la première sortie.
Vos désirs sont des ordres !
Continuer sur cette voie jusqu’à la prochaine instruction.
A vos ordres, M’dame !
Le soleil brille, la route est une belle et longue ligne droite bordée d’arbres, la vigilance un peu endormie par la certitude que le GPS le mènera sans problème à destination, Gabriel se laisse aller, appuie instinctivement sur l’accélérateur et ne voit pas le panneau de signalisation triangulaire.
C’est à pleine vitesse que le fourgon venant de la droite percute la twingo qui sous le choc fait un demi tour complet. Gabriel, la nuque brisée meurt sur le coup et lorsque les secours arrivent sur les lieux, ils n’entendent plus qu’une voix éraillée ne cessant de répéter :
Faire demi-tour dés que possible... Faire demi-tour dés que possible... Faire demi-tour dés que possible...