Signes du destin. Croire aux signes du destin. Un nom. Balancé. Une maison, à acheter. Un hameçon, d’intuition. Comme les lignes de la main. Un signe du destin. La maison est petite et en mauvais état. Mais on l’aime, on l’aime, c’est comme ça. On sort le sourire, les mains des poches pour se les passer sur le visage. On est déjà presque convaincus. Et puis ces 7 lettres. Les 7 lettres dont je suis issue. Les 7 lettres que ma mère fut. Un nom rare. Un nom avec histoire. Celle de l’erreur d’un employé de préfecture qui rabota un Guillevic pour en faire un Guilvic. Deux lettres en moins sur un acte de naissance, c’est mieux qu’un pied-bot. Une toute petite malformation administrative, mieux qu’un corps esquinté.
La maison de Mme Guilvic.
Comme si, je rentrais chez ma grand-mère. Comme si, me recroquevillant entre les quatre murs de pierre, je collais mon museau aux parois du ventre qui accueillit le ventre qui m’accueillit.
L’agent immobilier veut conclure une affaire. Il ne comprend pas qu’il m’offre ma place sur mon arbre généalogique. Et mes yeux coulent. Coulent et je me coule dans les bras de l’histoire, de mon histoire. Il veut de l’argent, je veux manger le temps. N’avoir plus 30 ans mais 50, 100. M’asseoir dans le salon de Mme Guilvic, et que tous, ceux qui sont encore là, ceux qui ont disparu jaillissent de mon esprit pour mettre les pieds sur la table. Albert, le dur, l’homme, le grand-père. Hervé, mon adoré. Ambroise, l’inconnu le plus cher à mon cœur.. Et puis Jeanne, Jeanne et ses seins énormes qui reposent sur la table de la salle à manger. Les hanches fortes sanglées dans son tablier, ses poings qui s’y posent et broient sa tendresse qu’elle veut masquer, qui disent une rudesse, peut-être empruntée.
145 000 € prix net vendeur ?
J’écrase une larme. J’en écrase une autre. Je m’assieds. Ça le met dans l’embarras, l’agent. C’est qu’il n’est pas habitué aux clients fondant pour 145 000 €.
Ah ? C’est trop ?
Oui, oui, c’est trop. Trop là, à l’intérieur. Ça glougloute d’émotions. Protéiformes, quinconces, piquantes, elles veulent toutes que je les vois. Elles se frayent un passage jusqu’à mon œsophage et s’attachent à me nouer la gorge.
Alors, pour qu’elles se calment, j’achète la rue de la paix.
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Il faudra voir avec Madame Guilvic. C’est elle la propriétaire