Cela fait deux semaines maintenant que l’élève, on peut l’appeler A... a commencé à déchiffrer son morceau. Pas facile du tout, mais elle aime la difficulté. Elle est servie avec la sonate : « Tempête de Beethoven ».
Elle le joue en entier, sans hésiter, et sans faute, pensais-je.
Pourtant la Professeur, appelons-la V... lui dit, « Bien mais maintenant fais-en un morceau de musique. Tu vas lui donner vie, reprends donc au début ».
- V : « Là, plus léger, effleure le clavier, et là au contraire, n’aie pas peur, joue forte, donne de la puissance, en partant de l’épaule. C’est bien, ça commence à prendre du relief ».
On dirait un sculpteur en train de modeler son morceau de glaise, de l’élever, de l’étirer vers le ciel.
- V : « Là, écoute, tu oublies une note dans ce trille ».
- A : « ... ? »
- « Si regarde tes notes ».
- « Ah oui mais c’est vrai... »
- « Ce passage, plus vite, il doit être plus enjoué, plus enlevé. Il faut que ce soit de la dentelle »
- « Mais c’est difficile, je ne peux pas »
- « Si, détend- toi, tu peux y arriver, plus vite »
- « ... »
- « Ne pense pas à ta technique, ne pense pas à tes doigts, pense juste musique, pense plaisir » .
- « ... »
- « C’est mieux, encore... »
- « ... »
Et, sourire épanoui d’ A..., c’est passé comme une lettre à la poste si on peut dire.
- V : « Ouiii, c’est bien, je suis contente, tu es satisfaite ? »
- A : « Je n’aurais pas cru..., Je peux le reprendre encore une fois ? »
- « Mais oui, allez, vas-y, fais-toi plaisir ».
La mélodie s’élève, avec du relief, des nuances. Elle a été comme sculptée avec des courbes parfaites et des formes expressives.
A la fin du morceau, pendant quelques secondes, une éternité peut-être, le silence... Personne ne dit rien, l’émotion est grande. On aurait pu voir trois paires d’yeux un peu embués. J’étais le seul témoin de cette naissance, et pour rien au monde, je n’aurais laissé ma place.