Deux fois par semaine, je prends le temps de boire un café dans le bar au coin de la rue. J’y achète ma revue, puis je m’installe au comptoir. J’ai mon habitude près de la caisse.
Des pas, une voix masculine demande un paquet de cigarettes. Le patron le lui vend, sourire commercial aux lèvres, un bonjour et au revoir automatiques sont échangés.
Comme il pleut, j’ai posé mon parapluie debout près de mon tabouret. Surprise par la tonalité de la voix, un mouvement de ma part, il chute aux pieds de l’inconnu. Je veux descendre pour le ramasser, mais il est plus rapide, me le tend déjà : « Tenez, ne bougez pas ».
Nos regards se croisent, je lui souris : « Merci beaucoup, c’est très aimable de votre part ».
« Vraiment pas un temps de saison » ajoute-t-il en réajustant sa casquette sur la tête, « il fait même froid aujourd’hui ».
Je lui propose un café, pour sa gentillesse et pour quelque chose de triste et de désabusé que je sens dans sa voix.
« Non, merci, je suis déjà en retard, mais un autre jour avec plaisir ».
Je m’empresse d’ajouter « Je serais là jeudi ».
« Jeudi matin, oui,... oui d’accord, bonne journée »
« Bonne journée ».
Nous sommes jeudi matin. Je ne m’assieds pas à ma place habituelle, j’opte pour une table ronde, visible de l’entrée.
Quelques minutes plus tard, le voilà. Il fait son achat, puis me regarde, commande un grand crème et vient s’asseoir en face de moi.
Nous échangeons quelques banalités puis la découverte de l’autre commence tranquillement.
Voilà maintenant, deux mois, que toutes les semaines, nous partageons cette pause avant de courir travailler. Je dis bien courir, car nous ne voyons pas le temps passer...
Ce matin, il n’a pas sa casquette vissée sur la tête. Un sourire joyeux sur les lèvres, il grimpe sur sa chaise et m’annonce : « voilà, ça y est, je me suis décidé. J’ai osé demander ma mutation pour retourner près de ma famille et elle a été acceptée. Tu sais, tout cela c’est grâce à toi. Lorsque ton parapluie est tombé, j’étais en pleine déprime, sous antidépresseurs depuis trois mois. Je n’attendais plus rien de la vie. Le regard des gens me disait : « Tiens voilà, le nain, le nabot du quartier ». Mais, lorsque je me suis vu dans tes yeux, je me suis senti normal, grand, comme tout le monde. »
Je lui réponds, heureuse de son bien-être et malheureuse aussi de le voir partir si loin :
« La taille d’un homme ne se mesure pas en centimètres, mais à la grandeur de son âme ».
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Grandeur d’ Ame
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