Mardi matin, un quai de gare en région parisienne, premiers jours de l’été, il fait doux. J’attends, mon sac en bandoulière, adossée au pilier comme d’habitude.
Des voix derrière moi, un groupe de cinq personnes, quatre hommes et une femme, je les connais, ils sont surnommés le « club des cinq vieux » au boulot. Je ne bouge pas, pas envie de leur adresser la parole, mais ils parlent fort, je ne peux m’empêcher d’entendre ce qu’ils disent.
Leur sujet de conversation, ce matin : la petite nouvelle, arrivée depuis quelques jours. Leur opinion est toute faite.
Il y a la BCBG, complètement coincée dans son tailleur, envieuse de ne pas avoir le cran de s’habiller « sexy » elle aussi, de ne pas oser ouvrir un bouton de plus de son chemisier, pour un décolleté plus attrayant, elle qualifie la nouvelle de dévergondée, d’obsédée. Je souris, il ne doit pas s’amuser tous les jours son mari !
Viens ensuite, le cadre, soi-disant psychologue, intarissable sur la philosophie de la vie, il connaît tout sur tout et en remontre à tout le monde. Quel vieux barbon ! Il n’a jamais du prendre une cuite de sa vie de peur de se lâcher et de paraître lui-même avec les mêmes envies d’homme que les autres. Il n’hésite pas à inciter les autres à la mettre à l’index, en quarantaine, carrément ! Ne plus communiquer avec elle, encore moins lui adresser la parole hors des nécessités du travail ! Faire tout ce qu’il faut pour la dégouter, pour qu’elle parte, qu’elle emmène ses jupes courtes, ses sourires et ses yeux malicieux qui le percent à jour à chaque fois qu’elle le regarde, ailleurs, loin, là où elle ne lui fera plus d’ombre.
Il y a le troisième, près de la retraite, il écoute, comme toujours ne prend pas partie. Il n’est pas concerné, il est heureux avec une femme ravissante, la jeunette pourrait être sa fille. Elle est un air de fraicheur dans cette atmosphère de jalousies idiotes, de cour de maternelle. Mais, il suivra le troupeau, il ne lui offrira plus de boire un café après la pause déjeuner. Peut-être, osera-t-il quand même en fin de semaine ? Mais alors en cachette, sans rien dire aux autres.
Tiens, le quatrième s’en mêle ! Il essaie de la défendre ! Ils devraient lui laisser sa chance, attendre de la connaître un peu mieux. Elle n’a rien d’une menace, juste une jeune qui débute. Ce devrait être justement aux anciens de l’épauler, de la conseiller, de lui montrer ses erreurs, de la guider.
Le cinquième se cache derrière une ironie d’adolescent un peu déjanté. Il l’aime bien lui, elle lui rappelle des souvenirs, des choses qu’il pensait avoir oublié. Il se sent jeune, encore désirable lorsqu’elle lui parle. Mais, il ne l’avouera jamais aux autres de peur d’être écarté lui aussi.
Et moi, je me dis que les années passent, les psychologues, psychanalystes, et autres spécialistes du monde entier, connaissent de mieux en mieux les tours et les détours de l’âme humaine, ses défauts et ses qualités, mais que décidément l’homme est toujours aussi sourd, borné, refermé sur lui-même, accroc au qu’en-dira-ton, incapable de s’accepter et donc d’accepter les autres d’autant plus ceux qui sont différents.
Pourtant n’est-ce pas dans la diversité que réside la richesse ?
Ah ! Hypocrisie quand tu règnes, il n’y a plus de place pour la tolérance.