Assise sur le bras de son antique fauteuil en cuir, elle s’offrit une cigarette et la fuma longuement. Elle appréciait chaque bouffée de ses sucettes à cancer préférées, les savourant même avec une certaine joie perverse en lisant les recommandations en gras sur le paquet. « Et alors, ce n’est plus ça qui pourrait me tuer ? » se disait-elle en regardant la danse hypnotique des minces spectres dessinés par la fumée…
La clope toujours au bec, elle jeta un coup d’œil vers le vague et terne reflet que lui renvoyait la télé éteinte, se demandant le temps d’une poignée de seconde qui pouvait bien être cette maigre étrangère qui se tenait devant elle, le regard hagard et les cheveux en bataille. Elle leva les yeux au ciel, plus par habitude que par dépit puis écrasa son mégot dans le pot de la plante hideuse qui lui servait de cendrier.
Enfin, résignée, elle se dirigea mollement vers la salle de bain, son seul et unique sanctuaire.
Elle avait elle-même fait les plans et aussi insisté pour aider les carreleurs, voulant poser sa marque dans l’édification de cette pièce qui lui permettrait de renaître après chacune de ses séances de chimio. Le tout avait des airs de hammam turc aux arabesques subtiles de faïences bleues et blanches. Une merveilleuse mosaïque recouvrait le sol, c’était son œuvre et elle en était très fière.
C’était vraiment sa pièce préférée, lumineuse et parfumée. Un endroit pour méditer, un endroit pour se retrouver. Une seule fois elle avait été tentée de mettre fin à ses jours et s’était rendue compte, amusée, que le sang dans un tel lieu, donnerait à son futur suicide des airs patriotiques… Cette seule idée avait retenu sa main.
Elle alluma des bougies parfumées, quelques bâtons d’encens indiens et glissa un CD de Dead Can Dance dans la platine sur la commode avant de se déshabiller. Un rapide coup d’œil dans le miroir la fit grimacer, elle avait encore perdu du poids et était passé en l’espace de quelques semaines d’une taille mannequin à celle, ténue à l’extrême, d’une anorexique au fond du trou.
En entrant dans la baignoire, elle s’aperçut qu’elle était en train de pleurer, larmes qu’elle balaya d’un rapide et nerveux revers de la main. Dans sa tête, une seule pensée dominait les autres, amère : « je suis en train de mourir… Je suis en train de crever ! »
Ouvrant alors le robinet à fond, elle laissa l’eau brûlante emportée ses larmes et ses regrets.