J1.Une enfance heureuse.
12 ans, le yé-yé, les années collèges de Jean mon ami, l’âge de l’interrogation, l’âge du destin.
Dans le petit collège attardé de Beaufort bourgade des marches de l’Est, perdu entre France, Suisse et Allemagne, nous sentions l’Europe sans la voir, perdus que nous étions dans les souvenirs guerriers du monument aux morts. Les héros, les vaincus, les neutres. Souvenirs entretenus par nos parents, ces héros tranquilles.
Mademoiselle Miellin, prof de français et vieille fille de l’éducation nationale, humble et bigote, Jean connaissait en cachette ses premiers émois amoureux pour Annie sa nièce.Miellin puait, Annie sentait la rosée.
Une prof d’Allemand, Mademoiselle Roch, tout aussi vieille fille mais autoritaire et revêche, la gifle facile nous perdait à jamais pour cette belle langue et cette trop riche culture d’un peuple dont confusément nous nous savions cousins.
Années heureuses, années d’insouciance ou deux textes programmés embuèrent l’esprit de Jean, IF et ErlKönig, l’un parlait de la vie l’autre de la mort,
Parents ne confiez jamais l’éducation de vos enfants à de vieilles filles !
Jean refusait les explications laborieuses de Mademoiselle Miellin "voir détruire l’ouvrage de sa vie sans dire un seul mot et se remettre à bâtir ... être amant sans être fou d’amour ...", ces règles ne convenaient pas à sa nature impétueuse, son esprit vierge réclamait une vie moins sage. Il s’empressa également d’oublier Mademoiselle Roch et les vers de Goethe difficilement ânonnés et responsables d’innombrables heures de colle.
Quarante ans après sans jamais l’avoir relu...
"Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind ; ...." Huit strophes, sans faute.
Inculte et ignorant, indiffèrent aux joies de l’école, Jean abandonna son âme vagabonde aux friches scolaires et ne suivant que son instinct, il passa son temps la tête dans les étoiles à courir la campagne sous le soleil à la chasse aux escargots.
Déjà s’éloignait le temps où son père lui donnait 20 centimes anciens, pour lire une ligne, sa grande sœur, éternelle première, reine permanente de la distribution des prix, se chargeait de l’approvisionner en livres "Rouge et Or". Mademoiselle Bernard une autre vieille fille, secrétaire du comité d’entreprise de la grande usine, s’étonnait de le voir rapporter les cinq ou six livres empruntés à la bibliothèque la semaine précédente. Je crois qu’elle était incapable d’imaginer qu’il fut seulement capable de les lire.
Jean était réputé cancre, « travail insuffisant, à des possibilités mais refuse de les exploiter ». Ce fut une enfance heureuse.
1968, année du bac, le trouva en pension au lycée horticole de St Germain en laye, ses maîtres se désespéraient de son manque de travail, il lisait les livres de poches dans l’ordre des numéros, un livre tous les deux jours pendant trois ans, et morceau de bravoure les Rougon Macquart, vingt romans en deux mois.
Interrogé sur la reproduction des grenouilles et du vers solitaire, Jean obtient son bac avec mention. Inquiets ses parents et amis se rassurèrent en décrétant que ce bac soixante-huitard passé oralement en catimini le 20 juillet était un bac au rabais, ils avaient déjà oublié que son BEPC, il l’avait obtenu avec mention et que pour rentrer à St Germain un concours était nécessaire, une rédaction, un problème, un entretien, quatre cent candidats, 40 élus.
Le lycée horticole de St germain Chambourcy, Yvelines, se voulait avant-gardiste, flambant neuf mais déjà sans moyen, faute de pion et insuffisance de prof, Monsieur le Directeur avait décrété l’auto discipline sous la responsabilité d’un chef de classe démocratiquement élu.
Barberet, le premier dans l’ordre alphabétique promu unique candidat, Jean y veilla, hérita de la fonction.
Avec quelques copains, Jean en profita pour découvrir Paris. Le jeudi soir Gare St Lazare, ils rataient le dernier train et s’endormaient alors sur les banquettes bleues de la salle des pas perdus pour ne pas manquer le train de cinq heures, Jean se fit des copains cheminots.
Jamais il ne sécha un cours.
Lorsque au bout de deux ans, enfin un surveillant général fut nommé, Jean ne s’étonna pas que ce dernier le convoqua pour lui signifier qu’après deux années de "pétaudière" il était nécessaire de reprendre fermement les choses en mains, les virés à Paris étaient interdites et passibles de renvois immédiats, mais bien entendu cela ne concernait pas Jean et sa bande de copains.
En avril les événements se précipitèrent, les assemblées générales succédèrent aux assemblées générales, Jean qui n’y connaissait rien, parla de la « finalité de l’enseignement », il fut écouté et reconnu comme un leader. Jean s’amusa beaucoup à lancer des pavés et à brûler des voitures, le treize mai il organisa en pleine grève générale grâce à ses copains cheminots un déplacement à Paris, mille lycéens dans quatre wagons en route pour la manifestation...
Le drapeau rouge, le drapeau noir ne plaisaient pas à Jean, il refusa de crier avec la foule "de Gaulle assassin" et fut ridiculisé par un vieux cégétiste, avec son accent franc-comtois, "nous sommes tous des groupuscules" devenait " nous sommes tous des grouposcule", le stalinien entendait nous sommes tous des groupes occultes.
Si vous regardez une photographie de la statue de la république prise ce jour là, c’est facile Jean est le deuxième sur le premier socle au-dessus du lion, c’est celui qui ne brandi pas de pancarte.
Cette journée lui laissa la sensation bizarre d’avoir participé à une immense manipulation.
Dans le calme fatigué du retour, il se surprit à penser qu’une aire nouvelle angoissante commençait. C’est lui qui avait organisé ce déplacement sur la première ligne ferroviaire créée en France 130 ans plus tôt, le romantisme du symbole ne lui échappa pas. Jean entrait en rebelle dans la vie adulte.
Le dix juin inquiet et sans nouvelle, René son père, remplit le réservoir de la 404 familiale d’essence suisse, flanqué de trois jerricanes il récupéra sa fille à l’école normale de Lille et Jean au lycée de St Germain, la récréation était terminée.
C’était vite oublier que Beaufort est à 6 Km de Sochaux, le 22 juin Jean fit le coup de point avec les CRS, un manifestant jeune ouvrier innocent y perdit la vie, la révolution était finie.
Jean se trouva un héros, le praguois Yann Pallach.
L’année suivante, en classe préparatoire à Nancy, une caricature de professeur de philosophie, adepte de la loi naturelle, le fâcha avec la philosophie des sciences, expulsé du cours il ne rejoignit jamais son école d’ingénieur.
Eternel étudiant de fac, son passé de soixante huit reconnu, Jean rejoint le PSU, l’UNEF, Rocard, la mouvance gauchiste, l’amour libre...
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