"I’ am just a gigolo". Ou l’histoire de fous rires à répétition.
Les tables rondes sont tout près du piano,ce soir là, à toucher le clavier et
donner des crises d’asthme à la pianiste. Les percus collées contre le mur
essayent leurs balais, la contrebasse, de cet air absent propre à l’instrument,
s’accorde dans le brouhaha.. Soirée sympa. Soirée cabaret comme on en fait dans
les petits villages, sans prétention mais bon enfant.
De 21 heures à minuit non stop , récital de chansons alternant avec des sketches
ressassés. L’estrade centrale se remplit. Les gens ont envie de danser. _ Tout est
prévu, nous savions que nous ne nous coucherions pas avant quatre heures du
matin.
La jeune saxo de Bernard Lubat se lance dans un merveilleux Santana (Europa),
assise sur le tabouret à côté d’elle . Frissons ..Juste quelques accords pour
accompagner. Laisser vivre cette mélodie envoûtante qui remplit peu à peu le
silence et fait se fermer les yeux dans le public. Pas besoin de se retourner
pour voir comment réagit la salle. L’ambiance ce soir est accueillante,
chaleureuse. Pas toujours le cas. Cela dépend de tant de choses.
L’âge du public surtout. Ce soir le répertoire a tapé dans le mille.
Elle aime le son très voluptueux du saxo alto, le ruban soyeux qu’il déroule
dans son oreille en y tissant aux bons endroits ces notes feutrées, un peu
étouffées par un pincement trop léger de l’anche, un peu « salivées » comme ils
disent. Ce souffle qui creuse la voix de l’instrument, cordes vocales de bambou
dans lesquelles passent des souvenirs d’alizés, ces ornements à peine marqués,
posés en passant, rupture du vibrato , précipice au-dessus de la barre de
mesure, au bord du swing.
Alternance de slows, pasos, tangos.Il faudrait nous remuer un peu cette salle,
allez, quelques rocks.
I’m just a Gigolo...
Dès les premières mesures c’est la ruée sur l’estrade. Imparable. Patrimoine
musical inscrit dans la peau et les pieds. Un clin d’œil à la formation et
c’est parti. On met le touti les gars !!
En espérant que cela ne se passe pas comme d’habitude...
La partition est longue, 12 pages. Ne disposant de personne pour les lui
tourner, elle en a fait des photocopies ( elle paye assez cher les timbres
qu’elle y appose pour se le permettre) et elle a collé le tout avec de la pâte
à fix sur le ventre du piano..
Mais dans un morceau, il y a des reprises. On tourne, retourne, repart.. Et
vlan, comme prévu , à la huitième page, le monument musical tombe par terre.
Pas le temps de ramasser l’échafaudage de papier, pas question d’interrompre la
danse..De la pointe du pied, elle arrange les dernières feuilles et continue de
jouer. Debout. De trois quart face..Le ventre secoué d’un fou rire qui gagne
ses potes musiciens qui assistent en direct à la fabrication d’un torticolis
maison. Elle en rit tant qu’elle en pleure et termine de mémoire, avec des
crampes aux abdos et le maquillage en Niagara.
On ne peut même pas l’inviter à le danser, ce rock. A chaque fois, au même
endroit, elle lache la main du partenaire et va s’écrouler sur un fauteuil
prise d’un fou rire incontrôlable.
Se précipitent devant ses yeux ces images de fins de soirées où plus rien n’a
d’importance, où les couples épris se le montrent discrètement, les couples qui
s’ennuient le font savoir à tout le monde, et les musiciens s‘éclatent dans leur
galère à eux...
be bop a dee di douh... Louiiiiiis...