Il y a des mots qui se perdent dans le silence des années. Des phrases qui, en fumées, s’évanouissent à jamais dans le noir de nos vies. Et j’aurais voulu te dire, j’aurais voulu te dire, j’aurais voulu te dire…mais je ne sais plus quoi exactement. J’ai tant de fois scellé mes pensées que désormais que l’envie de parler me prend à la gorge, rien n’en sort. Le silence dort et ne désire en rien voir le jour se lever sur les secrets qu’il enclot. Mes murmures se taisent donc à jamais.
Je n’ai jamais su comment te parler et j’avais tant de choses à te dire.
Pardonne-moi.
Sept heures du matin.
Si le plafond pouvait se détacher et s’abattre sur moi, j’en serais heureux. Peut être qu’à force de le fixer, il finira par céder à ma demande et m’écrasera aimablement. C’est peine perdue, je le sais.
Je soupire et m’extrait du lit. Une nouvelle journée commence. C’est tellement stupide la vie.
La fenêtre est ouverte et le soleil pâle, typique de ces matins que seul février apporte, passe sa tête à travers mes rideaux blancs.
Le sol est froid sous mes pieds.
Où sont donc ces foutus pantoufles ?
Salle de bain. Douche. Chambre. Je m’habille dans une succession de gestes acquis depuis la plus tendre enfance que j’ai scrutés avec attention chez mon père, pour reproduire moi-même jusqu’à aujourd’hui. Que je reproduirai sans doute demain encore, et encore, et après.
La cuisine. Le courrier que j’ai ramassé il y a deux jours dans la boite aux lettres est encore sur le comptoir.
Je mets la cafetière en marche. L’odeur me rappelle tout ce que je ne désire pas me souvenir et que j’enterre sous des pensées triviales, des réflexions inutiles, des observations futiles sur mon existence vide.
Mon existence vide…
Le mug blanc se remplie de noir sous mon regard éteint alors que j’évite soigneusement de porter mon attention sur la porte du frigo, de ce papier au blanc terne tracé de lignes bleutées, marquées d’encre noir, calligraphié d’une écriture longiligne familière.
…Pardonne-moi.
Il y a des silences qui font mal, plus mal encore que les mots que l’on ne pensait pas et que la colère nous a fait hurler.
Je t’aime.
Tout ce qui se brise se répand en éclat et les morceaux de verres éparpillés sur ma vie passée me coupent aux doigts dès lors que je tente de les ramasser.
Pourquoi est ce que j’ai mal et d’où vient réellement cette douleur qui après m’avoir mordue, me ronge doucement, me mastique méticuleusement, me savoure lentement ?
Je n’ai jamais su comment te parler mais bien des fois j’ai tenté. Crois-moi.
Je t’aime. Et je m’en excuse.
Je regrette.
Le café a un goût différent depuis. Je n’ai jamais aimé le changement. Et le changement ne m’aime pas non plus puisque m’adapter, je ne sais pas faire.
Il est huit heures. Je dois y aller.
Sortir. Conduire. Sourire. Travailler. Manger. Sourire. Travailler. Sourire…Partir. Conduire.
Rentrer.
Vingt heures trente.
La monotonie est une saison que j’abhorre et dans laquelle je me complais car rythmant mes jours, rythmant mes nuits, c’est la seule compagnie que je m’accorde.
Mes clefs sur le buffet de l’entrée produisent toujours le même son métallique que j’ai pourtant en horreur. Mes chaussures finissent près de mon sac, par terre.
Le plafonnier s’allume. La cuisine s’éclaire de sa blancheur opalescente.
Le courrier est toujours sur le comptoir et la lettre accrochée au frigo au milieu du fouillis de mémos, de notes, de photos ; de souvenirs en somme, qui jonchent mon passé.
C’est étrange comme le présent se retrouve suspendu dans les airs quand l’on se retrouve à occulter ce qui a été, et ne pas s’inquiéter de ce qui sera.
Je n’ai pas faim. Le microonde tilt. Le plat décongelé ressemble à celui sur la boite délaissée sur le plan de travail. Même le goût se rapproche à celui du carton d’emballage. Je n’ai pas faim. Je mange.
…Je regrette.
Tu ne t’en souviens sûrement plus mais il y a des ratures qui en disent beaucoup. Des vérités qui en savent peu. Tu trouveras une boite à chaussure sous le lit contenant une feuille et un crayon. Il y a le premier poème que tu m’as écris et ne m’as jamais donné, la partition que tu as un jour déchirée et jurée de ne pas finir, un livre et un bonbon à la fraise. Deux tickets de cinéma, un ruban noir et rouge et un peu de moi.
Tu auras ainsi accès à mon trésor que je te remets enfin. De petits rien qui forment un toi, et à qui je m’adressais dans l’intimité de tes absences.
Je n’ai jamais su comment te parler alors je t’ai gardé près de moi quand tu ne me voyais déjà plus.
Je t’aime. Et je m’en vais.
Parce qu’il n’y a plus rien à dire.
Faire la vaisselle. Essuyer la vaisselle. Ranger la vaisselle. Automatismes qui ne requièrent pas la moindre once d’activité cérébrale particulière. Automate du quotidien que je suis devenu, que tout le monde est à bien y réfléchir.
Salle de bain. Douche. Brossage de dents minutieux. Mon dentiste serait fier ; je fais de lui un homme heureux.
Le salon. La télévision me regarde. La solitude fait voir les choses sous un nouvel angle.
Je fais mine de ne pas remarquer l’objet rectangulaire posé sur le rebord de la table basse, à moins d’un mètre de moi. Il me suffirait de tendre le bras, me pencher légèrement. Il me suffirait de le vouloir et je le pourrai aisément.
Mais je n’en ai pas envie.
J’appuie sur le bouton rouge de la télécommande et les images projettent leurs lumières sur moi, m’aveuglant presque.
Je change de chaine. Je change de chaine. Je change de chaine. Je change de chaine.
Les informations sont déjà finies à cette heure-ci.
J’éteins la télé. Pourquoi est ce que j’en ai une si je ne la regarde jamais ?
Les DVD s’entassent sur les étagères de la vidéothèque et jamais je n’en regarde aucun. Mes yeux esquivent la boite à chaussure. Le couvercle est à moitié relevé…
Je cède. Encore une fois. Je le retire complètement et comme chaque soir depuis une semaine, ce parfum m’envahit les narines.
Cela sent le café, la cigarette et la fraise.
Elle.
…Parce qu’il n’y a plus rien à dire.
Tu trouveras ta clef sous le pot de fleur de l’entrée. J’aurais du faire cela depuis longtemps.
Mais comme tu le sais, j’ai toujours été un peu lâche.
Pardonne-moi.
Je n’ai jamais su comment te parler parce que tu n’étais jamais là.
Et j’aurais dû te chercher bien plus tôt.
Je n’ai jamais su comment te parler, mon amour mais je n’ai jamais aimé que toi.
Je n’ai jamais su comment te parler, mais toi non plus tu ne le savais pas plus que moi.
Adieu.
Vingt trois heures.
Je vais me coucher.
Le froid s’engouffre par la fenêtre que je ne ferme jamais et la pénombre dévoile à peine les murs de la chambre qui ainsi m’apparaissent plus gris que blancs
Je m’allonge de tout mon long dans la froideur de mes draps, les yeux ouverts.
Je n’ai pas envie de dormir.
Si le plafond pouvait se détacher et s’abattre sur moi, j’en serais heureux. Peut être qu’à force de le fixer, il finira par céder à ma demande et m’écrasera aimablement. C’est peine perdue, je le sais.
Je soupire et ferme les paupières. Une nouvelle journée se termine. C’est tellement vide la vie.
…Sans quelqu’un pour la partager.