La burle, le vent mauvais, balaye le plateau, mugissant contre les murets de lave qui délimitent des champs aujourd’hui oubliés. Elle apporte un crachin glacial, obstruant l’horizon de ces confins perdus du Velay, vastes plateaux désertifiés entre Haute-Loire et Ardèche.
L’auberge de Peyrebeille est à deux pas. Là, étaient détroussés pendant leurs sommeils ceux qui y faisaient étape : halte définitive car, une fois de vin drogués, le tenancier faisait disparaître les corps en son immense chaudière et la légende s’empara de cette rouge réalité où cinquante-trois personnes se sont envolés de bien sinistre manière.
Précédés par les genêts aux doigts effilés, les sapins grignotent peu à peu les pâturages de leurs silhouettes massives et la tempête en ce début de siècle n’a fait qu’en coucher les troncs qui se putréfient en silence. La route, quant à elle, se rompt aux multiples obstacles du relief : là, un pont déploie son arche de pierre au-dessus d’un creux marécageux. Ici, une courbe prononcée fait grincer les pignons d’un convoi à la lourde cargaison qui reprend aussitôt sa course solitaire. Seul le ballet des essuie-glaces apporte un semblant d’humanité. Plus loin, une croix de granit que le lichen ronge surgit au carrefour d’un chemin. Quel pèlerin cherche-t-elle encore à protéger ou à guider ?
Des maisons en ruines se dessinent autour d’un fier clocher. Nulle trace de vie, les derniers habitants ont rejoint le cimetière où seules les herbes folles viennent leur rendre visite. Un des murs ploie sous la charge et s’incline dangereusement, une stèle gît au sol, fatiguée de témoigner. Un bouquet en plastique s’étonne de son éclat, un cœur blanc émaillé proclame : "Ici reposent ...". Suivent en lettres noires des noms dont seul le passé se souvient : "décédé le ... à l’âge de ...". Qui étiez-vous ? Le temps a emporté la réponse et l’oubli a dessiné ce paysage.