-Pourquoi, Indien, m’as tu vendu la peau de l’ourse avant de l’avoir tuée ?
Dans la tente enfumée à la délicate fragrance de poisson boucané, le Vieux tire
sur sa bouffarde yeux plissés, yeux froissés, yeux canyons lessivés.
Une masse de peaux se recroqueville dans un coin, les cuirs s’essayant à un
début d’enroulement autour de la bourre huileuse.Il fait trop chaud. Trop âcre.
Trop tout..
-Réponds !!
On devine au silence de l’équipe que chacun ici préfèrerait se trouver ailleurs
et ne pas assister à une curée dont le rituel est connu. C’est de sa faute,
aussi, au Vieux. Il a réuni pour cette saison une escouade d’Indiens de
différentes tribus, sans souci aucun des arrièrés antédiluviens qui les
opposent de génération en génération.
L’un, Deux, cache mal sa satisfaction de la situation. On ne lui a pas laissé
prendre la tête de l’expédition. Sous prétexte que les Cheyennes sont un peuple
de cueilleurs -pêcheurs qui laissent les ours prospérer au point que pour
traverser les rivières, il suffit de marcher sur les saumons..
-Réponds, Trois !
-Je n’ai rien à dire. J’ai failli.
-Et cette ourse, où gîte-t-elle maintenant ?
-Pas loin de la Jonquière, au sud de la Rivière Saguenay.
-Comment allez-vous vous y prendre ? Il me faut la bête demain à la première
heure, sinon je perds mon commanditaire. On attend une livraison de castors, de
phoque et d’ours à Paris, rapidement, il me faut cette ourse, comment l’avez-
vous surnommée, déjà ?
-Laura..
-Il me faut Laura demain. A la première heure.
L’ordre a été aboyé de telle façon que le feu prend une position de repli et
cesse d’éclairer les visages bois brûlé que le froid calfate de crevasses.
Trois relève alors la tête :
-Accorde moi une dernière chance. Je te montrerai ce que les Iroquois savent
faire.
Le chef bascule la tête en arrière, comme si l’idée lui était lourde à la nuque,
puis, lentement :
-Non, Indien ! Vaut mieux que Deux tue Laura.