Je m’allonge, ce soir, perdue au milieu de tous, perdue dans ma solitude, perdue dans l’indifférence et l’absence... Je regarde ce plafond, les yeux ouverts, ce plafond que je connais si bien, ce plafond que je vois depuis des années lorsque je m’allonge, comme là, sur mon lit, sur ce lit qui est trop grand pour moi, sur ce lit où je ne vais pas tarder à me noyer... Je ne veux pas fermer les yeux. Pas cette fois. J’aurais tout le temps, après... Mais pour le moment, je veux regarder ce plafond, je veux voir ces images qui s’y superposent, je veux revivre tant de choses qui m’ont rendue heureuse, l’espace d’un instant...
Et je regrette. Je regrette d’avoir vu ces personnes aujourd’hui, comme d’habitude, de leur parler, de rire avec eux, sans leur dire au revoir. Au plutôt un simple au revoir, un au revoir insignifiant, de ceux qu’on dit chaque jour car on sait qu’il y aura d’autres moments comme celui ci. Je regrette d’avoir fait comme si ce jour était banal, d’avoir fait semblant de ne pas savoir quel jour sera demain, je regrette de n’avoir rien dit après avoir surpris ces conversations. J’ai fait ce que j’aurais dû faire, faire comme si rien n’était différent. Mais j’aurais voulu leur dire au revoir... Un simple au revoir...
Et j’imagine, comme je l’ai imaginé tant de fois, comme je ne l’imaginerais jamais plus, j’imagine mes au revoir, j’imagine ces scènes déchirantes et qui me bouleverseraient dans lesquelles ils tenteraient de me convaincre... Non ce voyage n’est pas pour moi. Ils ne veulent pas que je parte, sur l’océan, vers d’autres horizons, ils ne veulent pas que je quitte tout, que je quitte ma vie, mes amis, ma famille. Ils ne veulent pas de ce voyage. Or moi, je l’ai toujours attendu. Et je pleure. Je pleure ces adieux qui n’auront pas lieu.
Comme à chaque fois, ces scènes que j’imagine font couler d’innombrables larmes sur mes joues. Et je suis incapable de le dire. J’imagine ce que ce sera, après mon départ. J’imagine qu’ils auront de la peine, de la douleur peut etre, mais qu’ils oublieront et continueront à vivre. Et moi je serai partie. Je voguerai éternellement sur ces eaux calmes, vers un destin inconnu. Je préfère que leur dernier souvenir soit celui d’une amie qui leur fait un simple sourire, comme si tout était normal, comme rien n’allait se passer. Ainsi je vois le leur, les dernières visions que j’ai d’eux est la sérérité, la persuasion de me voir demain.
Je les vois tous, un par un, mais leurs images se supperposant, et je souris, les yeux humides, les draps trempés par une eau couleur de sang, et je me dis qu’ils oublieront, que la dernière image sera celle qui restera gravée dans leur mémoire. Et c’était une image joyeuse. Une image qui ne doutait pas. Une image qui n’avait pas peur. Ils ne l’oublieront pas. Ma respiration se fait plus lente, le calme m’envahit. Mes forces m’abandonnent. Alors je ne pense plus. Je laisse mes pensées voguer au gré de leur envie, je n’y fais même plus attention. Jusqu’à la fin, j’aurais pensé à eux, même s’ils ne le sauront jamais. La plupart ne sauront pas pourquoi j’ai fait ça. Demain aura été mon anniversaire. Je ne veux pas avoir 15 ans. Je ferme les yeux...