Je repense à ces après-midi que j’ai passé avec toi ces derniers temps, lorsque ta solitude se faisait angoisse. En me voyant arriver chaque après-midi j’avais l’impression que soudain tu retrouvais goût à quelque chose, sans très bien savoir à quoi. Tu semblais retrouver un sens à ta vie, petit sens dans un instant partagé avec moi, une confiance, puisée dans cette évidence que tu n’étais plus seule, confiance fragile, évanouie dès que je n’étais plus à portée de ton regard. Tu sais je vis des moments intenses en ta présence, de fragilité intense, aussi bien la tienne que la mienne. Oui je ne sais comment te le dire, tu m’apprends à me recueillir, tu m’apprends à me tenir dans un espace tendre où je veille à ne pas te blesser. Je te vois, absorbée par ton rêve éveillé, entre deux mondes, et il me semble que je suis le lien qui te permet de ne pas t’absenter totalement du nôtre, un fil, ténu, que tu oublies parfois de saisir et qu’il faut que je te remémore. Je suis là près de toi, tu es là, près de moi. C’est une danse que je ne maîtrise pas encore très bien, et c’est toi qui me guide, maître intransigeant qui ne laisse passer aucune de mes fautes, et en même temps si plein d’indulgence. Tu sais que j’apprends, tu sais que je ne suis que ta fille, et que ça ne me facilite pas la tâche.
J’aime ces moments de douce complicité, lorsque assise à côté de toi, nous sommes accordées au même rythme. Je m’approche à pas de loup de ton univers, j’ai souvent peur de te brusquer, et je glisse une petite phrase drôle dont je sais qu’elle va te faire rire. Je l’espère. Et soudain c’est toi qui me surprends par ta vivacité, par un jet de mots inattendus, qui me ramènent à arrêter de vouloir sans cesse te ménager. Trouver l’équilibre, mouvant, respecter ce que tu vis, mais pas « trop ».
Cette maladie m’interpelle, peut-on la résumer à une explication médicale, symptomatique ? Je ne sais pas, ça ne me satisfait pas trop. Je me dis que les maladies que l’on développe doivent ressembler à la vie qu’on a menée, expression matérialisée d’une manière d’être, prolongement de notre façon de nous engouffrer dans la vie ou de rester au bord. Alors pour toi, quel est l’écho qui t’a conduit sur le fil de cette maladie ? Je ne me hasarderai pas à faire des hypothèses qui t’enfermeraient un peu plus. D’ailleurs quelles réponses pourraient apporter une réelle explication à ce que je vis avec toi ? Aucune. Je préfère laisser mes questions flotter comme une interrogation de ma propre vie, une mise en suspension de mes certitudes, une vague ouverture à une compréhension possible, peut-être.
Doucement nos rôles s’inversent, douce maman.