Elle le regarde, de loin. Il n’est pas si beau, en fait. Il n’est pas conscient d’elle, il ne s’est pas encore tourné vers elle, ne s’est pas aperçu de sa présence. Elle ne sait pas si elle est déçue ou soulagée ; ca veut dire qu’il ne s’approche pas parce qu’il ne l’a pas vue, mais ça veut aussi dire qu’il ne la cherche pas des yeux en entrant. Il a ce mouvement de tête qu’elle connait bien, qui chasse sa frange de cheveux bruns sur le côté, avant qu’ils ne retombent aussitôt.
« Je t’ai fuie parce que je ne voulais pas te faire de mal, je ne voulais pas que tu t’accroches. »
Ça y est, il l’a vue. Il lui sourit et s’approche, une bise sur la joue, tu va bien ? Oui, et toi ? Bien, bien... Et la conversation s’éteint. C’est comme ça, elle est paralysée quand il est là, paralysée par ces longs mois où il ne voulait pas d’elle et où il ne cherchait qu’une chose, s’échapper le plus vite possible. Elle ne veut pas le regarder, elle maintient son regard résolument fixé sur le portrait au fond de la salle, on va bientôt commencer. Quelqu’un l’aborde, elle rit comme si de rien n’était. Il se détourne aussi et parle à quelqu’un d’autre.
« Au début, tu m’attirais tu sais... »
Le cours commence. Elle s’assied à côté de lui pour le salut rituel, et ne peut s’empêcher de le regarder un millième de seconde, perdant la respiration ; il a les yeux clos, et rayonne de sérénité. Elle n’a jamais connu personne, nulle part, jamais, qui dégageait ça. Elle n’a jamais connu personne qui la surprenne comme lui. Elle n’a jamais connu personne qu’elle ne pouvait pas jauger, comprendre. Elle n’a jamais connu personne qui ai envie de la fuir. Elle n’a jamais été celle qui demandait.
« Pourquoi tu ne m’as pas donné ma chance, alors ? » « Je ne sais pas. »
Elle aime ces heures de travail, à tenter de trouve l’harmonie, cachée dans l’art martial. Elle cherche la fluidité, la beauté. Elle cherche à s’y perdre. A oublier qu’elle profite de ces instants pour glisser un regard vers lui en douce, et le voir toujours plus magnétique, toujours plus fort. Et elle si faible. Elle cherche à oublier ces deux ans de sa vie, ces deux ans de rêves et de déceptions, de peurs et d’insomnies. Elle cherche à oublier ces jours à attendre un signe, un seul. Elle cherche à oublier qu’elle est, chaque semaine, déçue. Elle cherche à oublier qu’elle n’arrive pas à l’oublier.
« C’est possible que je tombe amoureux de toi. »
Il travaille avec elle, maintenant. Il ne la lâche pas du regard, et à chaque minute qui passe, à chaque effleurement de leurs peaux, à chaque mouvement raté qui le fait rire, à chaque mouvement réussi qui les fait sourire, à chaque moment où leurs yeux se croisent et où elle ne peut pas, elle ne peut pas détourner le regard, elle se sent tomber un peu plus. Elle veut s’y perdre. Elle veut que ça dure toujours. Elle veut qu’il la prenne dans ses bras et lui dise qu’il ne la quittera jamais. Elle veut qu’il...
« Il me faut du temps. »
Elle veut oublier qu’elle a choisi d’attendre, et que pour la première fois, il existe une personne sur Terre qui aura un jour le pouvoir de la détruire.