Bonjour ! Je m’appelle M... et j’aimerais vous raconter mon histoire. Elle n’est
pas très amusante, mais elle est vraie.
J’ai 15 mois. Je pesais trois kilos à ma naissance, aujourd’hui j’en pèse un
peu plus du double. A peine.
Ma mère m’a portée en niant son gros ventre et mes doigts qui poussaient vers
ses dehors.
-Maman est-ce que tu m’aimes ? Est-ce que tu as aimé mon père ?
-Madame, vous n’avez pas conscience que vous êtes enceinte ?
-Mais non je ne suis pas enceinte. C’est de l’aérophagie.
Le jour où je suis née, elle m’a posée là, comme on pose un paquet, sans plus .
Il a fallu la forcer pour qu’elle me ramène à la maison.
-Maman, j’ai faim et froid et peur, prends moi dans tes bras..
-Madame, vous voyez bien que c’est votre bébé, touchez votre ventre, il est tout
plat.
-Mais non ce n’est pas mon bébé, c’est celui de ma mère.
Un jour, une dame est venue à la maison parce que le facteur avait remarqué
qu’on me faisait dormir dans la panière du chien.
Moi, ça ne me dérangeait pas. Mais il paraît que cela ne se fait pas.
Il y a eu un jugement parce qu’en plus on me tapait sur la tête.
Et que j’avais plein de bleus. Moi, ça ne me dérangeait pas, parce que sur la
tête, je ne les vois pas, pas plus que ceux qui sont dans mon dos et les
brûlures de cigarette sur mes bras. D’ailleurs je ferme les yeux tout le temps
pour ne pas voir. Rien voir. Rien entendre. Rien comprendre.
-Maman pourquoi essayes tu de me briser ?
-Madame, nous allons être obligés de placer votre bébé dans un institut
spécialisé. il faut vous reprendre.
-Ce n’est pas mon enfant, je n’ai jamais eu d’enfant.
Et puis, là- dessus, j’ai fait une grave bronchite. J’avais trois mois. On m’a
laissée deux mois à l’hôpital . Ma mère n’est venue qu’une fois avec tous ses
copains. Comme on vient voir un objet non identifié, comme on va au ciné, comme
on va au musée ou au cimetière.
Moi ça ne me dérangeait pas, parce que je voulais déjà mourir et ne mangeais
plus et ne criais plus.
Alors, le médecin a dit que malgré mon tout jeune age, je faisais une carence
affective et de l’anorexie et qu’il fallait de toute urgence me placer à la
Dass. J’y ai passé dix mois, dans un institut où les enfants attendent...
Je vis depuis deux mois dans une famille très gentille.
Hier, la dame qui prétend remplacer ma maman a essayé d’ouvrir mes poings qui
sont toujours fermés et ne veulent plus accueillir la vie, ni les jouets ni les
caresses. Elle me dit que c’est doux les caresses. Mais c’est faux, cela fait
mal les caresses quand on les reçoit trop tard.
Elle a essayé de me faire répéter des mots, mais je n’en ai pas envie. Elle me
dit que c’est important de se parler, mais c’est faux : pour dire quoi et à
qui ?
Elle m’a prise dans ses bras et je l’ai repoussée. Vous comprenez, cela étouffe
des bras quand on n’en a jamais connu la chaleur. Elle me dit qu’elle va
m’aimer, mais elle ment. Elle dit ça juste pour m’apprivoiser et ensuite me
faire croire tout ce qu’elle voudra. Mais je ne serai plus jamais dupe. Plus
jamais.
Je voudrais être un oiseau.
Et puis elle essaye de me faire marcher, mais je ne sais que dormir. Fermer les
yeux, faire le néant.
Elle me force à manger et je me force à vomir.
Je ne lui en veux pas, à l’autre, la vraie, la mère.
Celle qui a à peine 18 ans aujourd’hui.
Non. Juste, elle aurait pu me dire et se dire la vérité. Ne pas nous mentir.
Parce que la seule chose qui soit vraie, c’est que je n’existe pas et n’en ai
aucune envie. Niée. Morte-niée, morte-née. Je suis à moi toute seule
l’incarnation d’un mensonge.