« La médecine est devenue inhumaine car elle a gommé le caractère humain de sa pratique ».
J’avais commencé la première de mes chroniques avec ces mots là, avec cette sensation inhabituelle et désagréable de se retrouver contrainte, durant mes études, à me réduire à ce qu’on attendait de moi, une machine à soigner d’autres machines, sans avoir l’occasion de donner libre cours à ce que je trouvais vraiment important dans la médecine, l’empathie, la solidarité, la joie d’aider.
Eh bien, j’ai eu le loisir d’observer encore et encore à l’occasion d’un évènement fort intéressant : le stage en soins infirmiers qu’on nous fait faire à la fin de la première année de médecine. Pendant l’été, nous sommes tenus de faire deux semaines de stage dans un service de l’hôpital, stage théoriquement dit « d’observation » et pratiquement, d’aide soignant.
Je sais que j’ai aimé ce stage. Je ne sais pas pourquoi, car je vous avoue qu’après deux heures à prendre les tensions de tout l’étage, j’avais plutôt envie de mourir (et je ne vous parle pas de ce supplice de tantale qui consiste à aider les patients à manger, vers 12h30... Quand vous n’avez vous même plus mangé depuis 5h du matin... C’est rude !), mais c’était la première fois de ma vie qu’on avait besoin de moi. Ces gens, ces malades, ils me regardaient avec le sourire, et vraiment, j’étais utile.
Je répondais à leurs appels, je discutais avec eux quand ils avaient besoin de parler, je les aidais à se lever, à se préparer pour la visite de leurs petits enfants, je faisais leur toilette, je leur apportais à manger, je riais avec eux. J’écrirais peut être un jour sur ce que j’ai vécu dans ce service de cardiologie, pendant deux semaines, mais ce n’est pas là ce que je voulais raconter ici : c’est trop récent, trop vif encore dans mon souvenir pour que je puisse vous en parler.
Non, ce que je voulais vous dire, c’était que, entre étudiants, nous parlons de nos stages. Eh bien, ça fait peur. Sincèrement. Oui, une grande partie d’entre nous a adoré ce stage, a savouré le contact avec les patients... Mais d’autres ? D’autres disent des choses comme « quand ils nous racontent leur vie, on a envie de leur envoyer double dose de morphine ! » ou « il fallait s’abaisser à parler de sujets bateau avec des vieilles dames gaga... »
Alors oui, je suis en colère. Je suis en colère contre ces gens qui ont mon âge, et qui plus tard deviendront d’éminents spécialistes, méprisant de tout sauf d’eux, de leur nombril et de l’argent qu’ils gagneront en réparant (brillamment, certes) la machinerie défectueuse. Je suis dans une rogne monstre quand je pense à ces larmes de vieille dame que j’ai essuyé un soir parce que le médecin n’était pas passé lui dire les résultats de ses analyses parce qu’il était pressé, et que je savais que lesdits résultats étaient arrivés.
Je suis en colère pour cette jeune fille qui a été oubliée en salle de réveil parce que le médecin n’avait pas parlé aux infirmières de quand il fallait la ramener, et pour sa mère qui se rongeait les sangs à l’attendre dans le couloir où je travaillais.
Je suis furieuse d’entendre mes amis, les gens qui mangent avec moi le midi et qui apprennent les mêmes choses que moi, dire que rien n’a d’importance chez ces gens, parce que ce sont des patients et que donc ils ne sont pas capables de réfléchir.
« La médecine est devenue inhumaine car elle a gommé le caractère humain de sa pratique. »