Comme tous les mercredis, je m’adonne aux joies du ménage. Il fait encore nuit quand j’investis délicatement le salon où repose cette fine couche de poussière à laquelle je vais livrer un combat titanesque.
J’ai revêtu pour ce faire ma tenue fétiche :
- un masque de plongée au tuba recourbé pour me rafraîchir le cou et surtout éviter que de mes naseaux le souffle puissant ne souleva la moindre particule grise,
- une lampe de spéléologue pour relever mes cheveux et éclairer le moindre recoin en cette aube presque naissante,
- une serpillière légèrement humidifiée et délicatement nouée autour de ma taille.
Me voilà prêt ! L’aspirateur sommeille encore et, en un lieu encore secret, repose mon vaporisateur bi-javellisé ainsi qu’un chiffon stérile de couleur blanche. Je saisis la télécommande de la chaîne haute-fidélité dont le son a été précédemment poussé à fond, le CD de Queen "live in Japan" repose sur le tiroir. Je libère délicatement la touche "pause" et en même temps que se plaque le premier accord de guitare, la machine que je chevauche s’enclenche aussi !
Au rugissement des enceintes, Dame Poussière s’envole, surprise dans son sommeil, et aussitôt la bouche goulue de Monsieur Aspirateur la cueille et la plaque au fond de son sac ! Freddy pousse sa chansonnette alors que je me propulse en avant, faisant tournoyer le manche de mon véhicule improvisé dont le moteur ronronne sous mes fesses qu’excitent le contact du plastique d’où s’échappe un air chaud mais délicieusement parfumé.
De ma lampe, je balais le plafond, guettant les particules qui voudraient retomber. Le trop-plein de watts fait vibrer le plancher et tressauter ma chair proche de l’extase. Le premier morceau se termine et les applaudissements fusent. J’arrête un instant l’aspirateur et le remercie tendrement, laissant errer mes mains sur ses flancs rebondis. _ Mais il est temps d’enchaîner.
Je bondis, vaporisant d’une main, chiffonnant de l’autre : téléviseur essuyé, magnétoscope à la façade rutilée, meubles briqués à neuf ! Je me sens léger et le mobilier astiqué me renvoit mon reflet. L’émotion me gagne, la serpillière glisse sur mes jambes et, enfin nu, je me jette à genoux pour faire le sol. Vite mon seau ! Et me voilà à quatre pattes poussant et tirant ma toile à laver, pleurant à chaudes larmes tant la joie me pénètre. Le jus noirci coule dans l’évier et, d’une eau propre, je retourne fièrement achever ma tâche.
Pendant ce temps le jour s’est levé et les premiers rayons de soleil inondent mon intérieur où pas un grain de poussière n’est visible. A travers les baies vitrées, ma voisine jouit de ce spectacle émouvant et ses enfants tournent des yeux ronds. Je me redresse enfin, voilant mon intimité de l’innocence de mes mains et leur échange un sourire en criant :
- Mission accomplie !
- Comme chaque mercredi ! s’exclament les petiots qui me préfèrent ce jour-là à leur poste de télé.
Alors, après avoir essuyé la transpiration abondante qui dégouline de mon front et retiré ce masque dont la vitre commençait sérieusement à s’embuer, je me précipite vers cette femme admirative. Las ! Distrait je suis et oublieux de ce que la porte vitrée était restée close, je m’y fracasse le nez qui se met derechef à saigner. Des gouttes viennent aussitôt salir mon sol. Vais-je devoir tout recommencer et c’est sur cette terrible interrogation que je vais être obligé de vous quitter car j’aperçois son mari qui se précipite avec sa carabine en éructant sa colère d’avoir ainsi été réveillé :
- Y’en a marre de tes conneries ! Cette fois je te fais la peau !
Les gens manquent terriblement d’humour.