Ici, tout le monde le voyait errer. La tête dans les nuages, l’air songeur, la mine affligée. Dans ses yeux, la vie ne brillait plus. Il semblait vide, dépouillé de toute chaleur, abandonné par l’amour. Son âme errait, prisonnière de son corps ; condamner à y rester. Tout le monde était conscient de son désarroi, mais personne ne voulait risquer d’aggraver sa peine.
Quand on le croisait dans la rue, on ne le voyait pas. On baissait les yeux sur son malheur, on tentait de ne pas voir sa détresse. On ne voulait pas l’ignorer, on voulait le laisser en paix. Pour qu’il guérisse, pour qu’il se relève. Les gens étaient conscients que les mots importaient beaucoup, mais ils ignoraient que les gestes comptaient plus encore.
On se disait toujours qu’il traversait une mauvaise période et qu’un jour il finirait par s’en remettre, que ses mauvais jours s’éteindraient. On lui souriait pour l’encourager, mais, lorsqu’il croisait nos regards dans une prière muette, on détournait les yeux. Par peur de ne pas être à la hauteur. On avait crainte de ne pas savoir comment réagir, de ne pas trouver les mots pour dire.
On commençait même à l’éviter. On avait peur qu’il nous raconte, on avait la frayeur de ne pas pouvoir parler, d’augmenter sa peine de nos propres larmes. On avait le sentiment de ne pas être assez fort pour redonner vie à son cœur éploré, de ne pas être assez solide pour alléger le poids de sa propre souffrance. On le regardait s’effacer sans dire un mot, dans ce silence pesant qui meublait son passage. Et quand, dans un regard envieux, il regardait le ciel, on pleurait de notre impuissance.
Puis un jour, on s’est rassemblé pour lui. Par dizaines, par centaines, pour lui dire qu’on l’aimait. Pour lui dire qu’on souhaitait qu’il soit heureux. Avec les mots justes et réfléchis, on fit des discours pour lui témoigner notre respect, notre amour, notre présence. Pour lui dire qu’on était toujours là, qu’on pensait très fort à lui.
Et lorsque le dernier lui eut témoigné de son amitié, on posa des fleurs sur sa tombe. Avec le sincère regret de ne pas avoir agis avant.