“Je sais que je vais mourir, mais je n’y crois pas” disait V. Jankélévitch. Il est paradoxal que la seule certitude accessible à l’entendement humain aie besoin de la validation supplémentaire d’un acte de foi. Certes la mort est un exemple- limite. Je sais que je vais mourir, mais par “ouï-dire”, et jusqu’à la fin les modalités de cet accomplissement m’echapperont. En outre mon “vécu” de l’événement restera intransmissible. Nous nous demanderons cependant, à partir de cet exemple qui fait obstacle, si cet attrait irrésistible de l’Homme pour un savoir absolu n’est pas contrebalancé en permanence par une répulsion d’extrême justesse pour une connaissance dont il pressent le caractère inconfortable, voire tragique. Sacraliser la vie, embellir l’amour, construire sur des rêves ses projets sont le lieu commun de l’humanité. L’illusion est cet espace qui la maintient à l’ écart de la crudité du réel, dans un certain coefficient d’inattention à la vie au sein même de toute perception attentive et utile .Comment définir l’illusion ? Est-elle constitutive de l’humain au point de féconder sa pensée, ses choix et ses réalisations ? Dans un monde qui encense les vérités partielles, a-t-elle encore une place ? L’illusion doit-elle , et peut-elle être détruite, et ceci au nom de quel savoir, de quel pouvoir ?
Envisager de détruire l’illusion ne peut se faire sans définition préalable de son lieu. A-t-elle son siège dans l’âme, est elle le produit de notre environnement culturel ou de nos désordres chimiques ? Il semble bien que ce “double du réel” ne puisse que nous échapper et se définir en l’opposant à ce qu’elle n’est pas. Elle est autre que l’erreur nous dit E. Kant car “ Nos sens ne jugent pas du tout. (...) Dans les sens, il n’y a aucun jugement, ni vrai, ni faux.” Nos sens, nous le savons d’expérience, peuvent nous induire en erreur. Ils ne peuvent cependant en porter la responsabilité. L’erreur relève d’une distorsion intérieure du discours logique, et comme, telle est accessible à une argumentation rectificatrice.
On ne peut, par contre, imputer une quelconque responsabilité à des mécanismes physico-chimiques indépendants de notre volonté. Une illusion, qu’elle soit sensorielle ou affective procède d’un défaut de perception ou d’une croyance et ne se laisse entamer par aucune démonstration. On peut dire “ je commets une erreur”, on ne dira jamais “je commets une illusion”, mais plutôt “j’en suis le jouet”.
L’erreur est un mode de penser qui met dans la balance notre responsabilité intellectuelle ou morale.
L’illusion est un mode d’être, ou de vivre pour certains, qui dessine les contours de notre effroi existentiel.