Oldo Vai était assis devant une tasse de thé fumant. Blond, les yeux bleus perdus dans le vague, il attirait l’attention de tous ceux qui se trouvaient autour de lui. Son visage d’une pureté extrême avait quelque chose d’enfantin et d’angélique.
La porte s’ouvrit brutalement et d’un pas déterminé, Olav Dio entra dans le bar. Il devait avoir une trentaine d’années, les cheveux noirs, un regard sombre et triste que jamais l’espoir ne semblait parvenir à éclairer. Ses traits étaient fins et son teint pâle mettait en valeur la douceur qu’exprimait son visage d’éternel adolescent.
A l’instant même où il franchit le seuil, il sentit la présence d’Oldo Vai. Subrepticement, il tourna la tête et comme aimantés, leurs yeux se croisèrent dans un éclair fugace.
Stratégiquement, Olav s’était assis à l’autre extrémité de la salle, face à Oldo. Il voulait pouvoir anticiper chacun de ses gestes. Il s’impatienta, cela devait bien faire maintenant dix minutes qu’il avait commandé un café qui n’en finissait pas de lui être servi. Cette idée le fit sourire, comme si le temps avait encore une quelconque importance pour lui !
Les minutes s’égrenèrent dans le calme apparent d’une soirée de printemps, mais soudain, les sens en éveil, ils pressentirent l’arrivée de celui qu’ils attendaient. Tous les deux, observèrent l’entrée, c’est alors que d’un pas hésitant, le vieux Volodia, vêtu de son sempiternel imperméable beige, pénétra dans la salle. Il se dirigea vers le comptoir, fit un petit signe au patron qui aussitôt posa devant lui un verre qu’il remplit à ras bord. Volodia le but d’un trait, puis d’un geste lent, sortit un briquet et un paquet de cigarettes de sa poche.
Oldo et Olav s’observaient en silence et chacun savait ce à quoi l’autre pensait et quel était son but. Oldo se leva le premier et s’accouda sur le comptoir à quelques centimètres du vieil homme, il jeta un coup d’œil à son adversaire, savourant déjà son triomphe. C’est alors qu’à sa grande surprise, il vit ce dernier retirer sa veste et se diriger vers la sortie où se trouvait un haut porte-manteau de cuivre.
Olav, leur tournant le dos, murmura : « choisis ton éternité vieillard ». Et là contre toute attente, Volodia s’extirpa péniblement de son manteau et décida de le suspendre aussi. Ses pas l’amenèrent vers Olav qui s’empressa de l’aider, profitant ainsi de l’instant offert pour effleurer l’épaule du vieil homme. Une onde glacée le parcourut et il frissonna mais il garda le silence et repartit vers le comptoir.
Seulement, il trébucha, perdit l’équilibre et tomba lourdement. Sa tête heurta le coin d’une table et il mourut aussitôt. Le patron et les rares clients se précipitèrent en vain pour lui porter secours.
Ainsi, nul ne vit Oldo grimacer de douleur et disparaître comme avalé par le sol, il avait échoué dans sa mission et devait regagner les limbes. Olav quant à lui, sortit tout simplement dans la rue, accompagnant Volodia vers la lumière.
Cela faisait une centaine d’années qu’il remplissait son office de faucheur d’âmes et même si côtoyer la mort était son quotidien il ressentait toujours une vague tristesse. Pour lui, l’éternité n’avait rien d’un conte de fées...