Bonjour ! Je m’appelle Alex ! Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de vous raconter ma vie, même sous forme de C.V. Disons tout simplement, pour planter le décor, que les hasards de la vie m’avaient mené dans cette région du sud tchadien où j’occupais le poste de Responsable des Transports au sein de la plus importante société locale, la Cotontchad ; comme son nom le laisse supposer, la raison d’être de cette société était le coton, de la distribution des semences jusqu’au transport des balles vers les ports camerounais, en passant par toutes les étapes intermédiaires, fastidieuse énumération que je vous éviterai ici.
Alors me direz-vous, si l’on ne parle pas coton, quel est l’objet de ce récit ?
Ne vous impatientez pas, j’y arrive !
Au cours des mois qui suivirent mon installation dans la région, après avoir découvert le travail qui m’attendait, j’avais, peu à peu, fait connaissance avec la population, souvent par l’intermédiaire de mes employés ; ceux-ci, au nombre d’environ cent cinquante, répartis entre chauffeurs, mécaniciens, magasiniers, etc. appartenaient pour la plupart à l’ethnie N’Gambaye, majoritaire dans la sous-région du Bas Logone.
Petit à petit, la confiance s’était installée car je respectais, ce que je leur avais promis à mon arrivée, les us et coutumes locales, sans jamais interférer dans ces dernières.
Pourtant, un point restait sans réponse ; j’avais à maintes reprises surpris des conversations, autant à la Cotontchad qu’en ville, dans lesquelles il était question d’une reine, que mes employés semblaient vénérer ; je n’avais pas osé les interroger plus avant sur ce que je pensais être un sujet qui ne concernait pas l’Européen que j’étais.
Un jour pourtant, n’y tenant plus, je posais la question à mon adjoint Eloi Digamtoujdi, lui-même appartenant à cette ethnie.
Dis-moi, Eloi, en plus des chefs traditionnels, est-ce que les N’Gambayes ont un roi… ou une reine ?
A priori surpris par ma demande, il me répondit que non.
Ma curiosité s’arrêta là et j’en conclus définitivement que ça ne me regardait pas.
Quelques semaines plus tard, un des mécaniciens se blessa assez sérieusement à une main ; j’accompagnais le blessé à l’hôpital de Moundou.
Je fus accueilli par le chirurgien, Yin Toll, un coopérant français qui vouait sa vie à l’Afrique et qui régnait sur les lieux depuis de nombreuses années. A ses côtés se tenait une infirmière qu’il me présenta comme étant Sœur Reine… Et la lumière fut !
La reine pour laquelle les N’Gambayes avaient tant de considération ne pouvait être que cette vieille religieuse qui pansait leurs plaies physiques et morales depuis des années.
Je ne pus m’empêcher de conter ma méprise à la principale intéressée qui partit d’un grand éclat de rire et me confirma que, pour beaucoup de ses patients, elle était effectivement la Reine de Moundou. J’en profitais pour lui demander pourquoi elle portait en sautoir, non pas une croix chrétienne comme c’est la règle, mais une grosse clef métallique.
Elle me répondit textuellement :
Voyez-vous, Monsieur Alex, comme on connaît ses saints on les adore !
Cette clef ouvre la réserve à médicaments… des produits qui n’ont pas de prix sur le marché !
Février 2009