Elle tape furieusement sur son clavier. A chaque mot qui apparaît sur l’écran, à chaque lettre que la toile mondiale lui transmet de l’autre bout de la terre, elle sent son cœur se glacer un peu plus. Elle se débat de toutes ses forces pour la garder a flots, l’empêcher de sombrer, elle lutte pour la vie de son amie... Mais à chaque lettre sur laquelle se posent ses doigts, elle désespère un peu plus. Ca ne sert a rien.
Un sentiment de frustration immense l’envahit, mêlé d’une peur réelle, non pas pour elle, mais pour la jeune fille, reliée à elle par la technologie, par ces touches qu’elle sent sous ses doigts qui s’agitent presque frénétiquement sous la poussée de sa pensée. Cette amie qui l’a si souvent empêchée de tomber encore de l’arbre de la vie, celle qui fut la première branche solide alors qu’elle pensait que la chute serait sans fin, alors qu’elle avait perdu espoir... Aujourd’hui, c’était elle, celle qui autrefois avait été un refuge, c’était elle qui tombait, et ses doigts ne se refermaient que sur des branches trop minces pour supporter la masse de son désespoir. Et elle, elle qui avait été sauvée, elle était incapable de l’aider.
Pleurant de rage et d’impuissance, elle ne savait même pas pourquoi elle continuait à essayer. Cette impression de parler à un mur, de sentir les petits galets qu’elle envoyait échouer à briser l’épaisse paroi de verre de la tristesse dont son amie s’était enveloppée. Etait ce simplement pour la paix de son âme qu’elle continuait d’enchaîner des arguments plus désespérés les uns que les autres ? A défaut de pouvoir sauver une vie, cherchait elle a préserver sa conscience de la culpabilité ? A l’instant même où cette pensée lui traversait l’esprit, elle fut secouée par une nausée atroce. Quel prix attachait elle à l’amitié si elle accordait plus d’importance à sa conscience qu’à la vie ?
Soudain, pourtant, tout se brise. En trois mots, la situation s’inverse. Dupée, trompée, objet d’une moquerie cruelle. Celle qui n’est jamais tombée, celle qui a joué la comédie jusqu’au bout, l’amie devenue l’être trompeur au rire grinçant. D’un coup, ce n’est plus la même personne qui tombe. Qui connaît la douleur de sentir la seule branche qu’on croyait stable gémir sous nos pieds, se briser dans un fracas de fin du monde ? De tomber, encore et encore, dans le gouffre immense d’une solitude obscure, avec au fond de la gorge le goût amer de cette trahison qui nous a mordu le cœur ?
Les larmes d’impuissance deviennent des larmes de colère, de douleur et de rage. La comédie devient une réalité. Seuls les rôles sont inversés...