C’était une femme sans âge, les ans avaient tellement froissé sa peau que nul n’aurait su dire combien de printemps avaient frôlé ses joues ni même si elle avait été jolie. Elle passait ses journées clouée dans un grand fauteuil en osier regardant s’égrener le temps au rythme des saisons et des couchers de soleil. Depuis bien longtemps ses histoires n’intéressaient plus personne alors elle restait assise en silence des heures durant les yeux rivés sur le jardin désert.
Un jour, elle se mit à sourire en direction de la fenêtre, puis d’un geste las, elle fit un ou deux petits signes en guise d’au revoir et son visage s’assombrit de nouveau se replongeant dans la solitude froide des soirées automnales. Certains jours elle semblait plus gaie et sa fille Camille qui s’occupait d’elle, un peu surprise par ce changement, la surveilla désormais du coin de l’oeil. Chaque après-midi, à la même heure, la vielle femme s’agitait un peu, inquiète, mais soudain son regard s’illuminait et elle s’apaisait. Puis quelques heures après, immuablement, comme à regret, levait la main et prenait congé d’une énigmatique présence.
L’hiver arriva et on voulut la changer de place, tourner son fauteuil vers la cheminée mais elle se débattit des larmes plein les yeux. Un jour, sa fille s’assit à ses côtés, espérant trouver une explication à ce curieux comportement qui animait l’aïeule. Elle lui parlait doucement mais sa mère ne lui répondait pas, toute occupée qu’elle était à scruter le paysage. Et brusquement, souriante, elle désigna quelque chose. Sa fille regarda, s’approcha de la fenêtre, l’ouvrit pour mieux voir mais n’aperçu même pas une ombre ni même une plante qu’animerait le vent. La neige recommença à tomber, lourde et glacée et pour la première fois depuis des mois et des mois elle prit la parole :
Il faut la faire rentrer, elle va avoir froid !
Qui ça maman ?
Eh bien la jeune fille qui est dans le jardin !, s’exclama-t’elle désignant la fenêtre.
Mais il n’y a personne dans le jardin...
Si, il y a la jeune fille, elle est si pâle, elle doit avoir très froid. Elle a beau me sourire, je sais que le froid lui fait mal.
Lorsque Camille s’approcha à nouveau de la fenêtre pour s’assurer que personne n’était là, sa mère s’écria :
Arrête, tu lui fais peur, elle se sauve... Ca y est, elle est partie ! continua-t’elle sur un ton de reproches mêlés à une profonde tristesse.
Dans la seconde, Camille prit une écharpe et sortit, elle regarda devant la fenêtre et ne vit aucune trace de pas, d’un regard circulaire, elle observa attentivement ce qui l’entourait cherchant une explication. Rien, il n’y avait rien du tout. Tristement, elle conclut que son mari et que le médecin avaient raison et que sa mère était bel et bien devenue folle.
Les jours qui suivirent, elle ne fit plus attention au délire de la vieille femme, de temps en temps, elle la voyait continuer son manège et haussait les épaules d’un geste désabusé et affligé. Mais un soir, elle l’entendit murmurer, elle semblait heureuse et sereine. Sans faire de bruit, elle s’approcha, prêta l’oreille aux chuchotements mais ne put percevoir que quelques bribes de phrases. Inquiète, elle finit par s’adresser à sa mère et lui demanda :
Mais avec qui parles-tu maman ?
Avec mon amie.
Ton amie ? Mais quelle amie ? demanda-t’elle perplexe.
La jeune fille qui vient me dire bonjour chaque jour dans le jardin.
Et où est-elle ?
Là, près de moi, elle est venue me chercher, je suis bien contente, elle est si gentille et si douce.
Ecoute maman, ne dis pas de bêtise, il n’y a personne d’autre que moi ici.
La vielle femme détourna la tête et recommença à chuchoter :
Vous aviez raison, elle ne me croit pas. Alors je suis prête, allons-y.
Et dans un soupir très doux, ferma ses yeux pour toujours.