Départ au petit matin direction Biarritz.
A cette heure toute de douceur ouatée, la brume un peu violette qui monte des rangs de vignes serrés accouche du paysage. Les cimes gris bleuté des arbres enchevêtrent leurs dentelles jusqu’au bout de l’horizon, en une frise étrange et plumeuse parfois rompue par la blondeur d’un chateau viticole encore endormi.
Après avoir dépassé les grands champs de maïs qui boivent toute l’eau de la région et où baguenaudent corneilles, brondes et grues, nous pénétrons enfin cet espace magique qui dément la réputation de monotonie qui lui est faite depuis toujours.
L’herbe sur le bas-côté y est rase, aplatie d’un repos vert-de-gris, mais si emperlée de rosée que le soleil y joue dans des milliers de prismes. La mousse s’étend, paresseuse et grasse. Chair sombre et rebondie qu’éventrent les dernières poussées de bruyère automnales.
J’aime cette route en lacet. L’humus que l’on devine dans les sous -bois frappés par instant d’un fragile rai de lumière, l ‘odeur de putréfaction douce qui donne des envies d’abandon.
Buvant des yeux le moindre détail de cette campagne paisible je me dis que nous marchons chaque jour un peu plus vite vers le désolant et l’inutile.. Le vrai est là, dans cette coexistence de la lumière naissante et d’une matrice putréfiée d’ou surgit la vie.
Le paysage d’une insolente douceur se moque des voitures et va à son rythme chaotique et vert, et le regard qui glisse d’une futaie à quelque buisson d’ajonc, prémisses des dunes blanches, en a le tournis. Derrière les arches de verdure et de nuages se cache, comme une prière, une silencieuse et joyeuse menace.
La veille, un orage avait arraché le ciel. Par endroits ce qui reste des flaques se rétracte loin des roues qui pourraient briser leur sommeil.
Le seul fait d’y poser les yeux en fait se tendre un peu plus leurs draps, gouttelettes en apparence passives mais qui n’aspirent qu’à retourner vers le ciel qui les a précipitées là.
Dans cette région de graves, ces gros cailloux de calcaire qui remontent du fond de la terre avant de se poser au sol, la pauvreté de ce dernier s’accompagne d’une richesse des pigments exceptionnelle, qui va du blanc au châtaigne en passant par toutes les nuances imaginables de vert. Fantaisie de l’absinthe ou de l’anis, profondeur de l’émeraude et surtout surprenante volubilité de la rouille déchue des fougères brûlées par un été trop sec et qui s’est prolongé tout l’hiver.
A travers les frondaisons s’infiltre un soleil enfin dénudé des nappes de brûme.
Une dernière courbe et nous abordons la grande ligne droite bordée de pins maritimes. Odeurs de résine et de sable mêlées de part et d’autre de la route soudain sévère et noire.
La mer n’est plus très loin..