Il appuie sur les pédales. Il n’en peut plus. La respiration halentante est saccadée, au rythme du vieux vélo qui rebondit de pavé en pavé. Mais, il ne sent plus rien, ni la pluie qui ruisselle sur sa figure, dans son dos, le long de ses jambes, ni le vent qui s’obstine à le retenir.
Il est trempé, et il s’en fout ! Un grand sourire barre sa gueule noire.
Il n’a même pas pris la douche avec les copains.
Fin de la trouée d’Arenberg, chère aux passionnés de Paris-Roubaix, la route est meilleure maintenant. Il souffle, presque arrivé et revoit le évènements de la matinée.
Rien de particulier, une prise de poste habituelle, la descente dans le Trou avec les copains.
Le travail , la routine et voilà le chef porion qui le convoque !
Tremblant, il s’est rendu dans le bureau dès la fin de son poste, un petit peu rassuré par le sourire qui l’a accueilli.
"Assieds toi, Gustave !"
Ca l’a inquiété ! D’habitude, on l’appelle "Tatave". A la mine, tout le monde a un surnom.
Et là, il lui a tendu la lettre en lui disant :
"Ben, mon cochon, on peut dire que t’es verni" !
Le chef, il lui a jamais parlé comme ça !
Il a pris la lettre, a cherché à comprendre dans les yeux du porion.
"Ah ! c’est vrai, attends que je t’ la lise !"
Au fur et à mesure de la lecture, des trainées grisâtres sont apparues sur ses joues. Pour un peu, on en verrait la couleur naturelle !
Il n’a jamais été à l’école, mais cette dictée là, il s’en rappellera toute sa vie.
Le "Tatave" de la fosse, chatelain, au soleil !!!
Quand il arrive chez lui, sa femme a préparé le frichti. Il n’a pas faim. Il se sèche, seulement.
Elle voit bien que quelque chose cloche !
"Appelle les tios" !
Il ne s’est pas lavé ! N’a pas faim !! Celà ne présage rien de bon !
Les deux loustics rappliquent.....obéissants.
Il les fait installer autour de la table et tend la lettre à son ainé, qu’il a mis à l’école.
"P’a t’as tout salopé !"
Sur la lettre, des traces de doigts noirs impriment le papier, comme une signature. Elle portera à jamais ses empreintes.
Son fils lit, et comme lui, Germaine pleure !
Il pense aux rigolades des collègues, à la fosse : "Tatave, il a jamais rien gagné, sauf les 100 kilos de la Germaine !" Lui a jamais dit, il l’aime la Germaine.
D’main, pour sur, il leur clouera le bec !
"Vous avez été tiré au sort et en conséquence vous serez accueillis l’été prochain avec votre famille au Chateau Agecroft à Mandelieu."
Il regarde ses enfants, sa femme, muet.
C’est le moment le plus important de sa carrière.
Sur, la lettre, il va l’encadrer !
C’est son diplôme.
La reconnaissance de toute une vie du fond du Trou !
C’est pas de la chance !!!!!