Je nais de la gourmandise des hommes. Tout d’abord dans leur envie, qu’ils décident le moment propice de satisfaire. Bien souvent c’est un simple souhait au détour d’une conversation, une sorte de clin d’œil, un « tiens et si …. » qui met en place comme une évidence, après tant de semaines et de mois à avoir patienté dans un coin de leur mémoire, les conditions idéales pour ma venue. Les rigueurs de l’hiver, un besoin de chaleur au coin d’un feu, en tête à tête ou bien en famille, même entre amis pour une soirée très chaude et animée de nombreux échanges. Je m’invite partout, des logis les plus modestes aux châteaux de France et de Navarre. Je tente de survivre tout en sachant que personne ne m’aime et que la chasse commencera dès que j’aurais pris forme.
Ah ! Comme il est difficile d’admettre que les mains féminines qui sont à l’origine de ma conception vont s’ingénier à me détruire par tous les moyens transmis comme des recettes miracles de génération en génération. Leur douceur va se transformer en vigueur et leur maladresse qui m’a conçu, va disparaître devant leur volonté de m’éradiquer coûte que coûte. Je suis laid, inesthétique, une erreur de la nature et pourtant, je suis tout rond, sans aspérités blessantes, d’une couleur uniforme, un bel assemblage homogène de fines particules légères ?
Alors pourquoi s’en prendre à moi ? Pourquoi suis-je si mal aimé ?
Hum ! Que voilà une fluidité qui me plaît ! Oh ! Comme c’est agréable de se rouler dedans de plonger à chaque coup vigoureux de cuillère. Je me frotte contre la paroi, je prends un peu plus forme, je grandis et grossis tranquillement, uniformément. Allez peut-être que cette fois, je vais réussir à rejoindre quelques-uns de mes congénères que cette surface chaude et lisse sur laquelle je vais prendre de belles couleurs dorées après avoir été roulé dans une huile tiède et odorante.
Aie ! Nooooonnn !!!! Ouf ! J’ai échappé de justesse au coup vengeur du bâton de bois m’écrasant pour me faire disparaître. Allez, encore un petit plongeon ! Et hop ! Je remonte, comme c’est bon de se laisser aller, de s’étaler un peu quitte à perdre quelques milligrammes de poids pour être encore plus invisible et durer … durer… encore… encore… Mais, non, le voilà qui revient à l’attaque ! Et vlan, en quelques gestes du poignet plus adroits les uns que les autres, je me désagrège et fusionne sans passion et sans amour avec les autres ingrédients de ce bain de plaisir à venir pour donner naissance à un délice de la cuisine gourmande : une crêpe.
Mais me direz-vous qui suis-je, moi, un simple grumeau pour prétendre être apprécié et aimé ?
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Le Mal Aimé
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Guido et Robert nous parlent d’Amour et de passion … mais, savez-vous qu’à la Chandeleur, il y a un mal aimé qui n’a aucun espoir d’être aimé ?