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-Accusé, levez-vous ! levez la main droite et dites « je le jure » etc, etc.
Une immense fatigue le saisit qui lui broie les épaules.
Il n’en peut plus de cette attente interminable, de ces procès à répétition qui
débouchent à chaque fois sur du vide.
Depuis le temps qu’on l’accuse de tous les maux de la terre.
-Pourquoi vous obstinez vous à mentir ?
-Peut-être est-ce dans ma nature ?
-Vous voyez ! Un mensonge de plus..
-Vous espérez de ma part quelque complaisance, une réponse qui vous conforte
dans la nécessité de votre présence ici. Mais que serait un monde dont vous ne
pourriez inventer les fantaisies les plus inattendues, avec la secrète
espérance qu’elles se réalisent ?
-Elles se réalisent parfois.
-Donc je vous retourne laa question. Pourquoi m’accuser ? D’autre part, que
serait un monde sur lequel les hommes ne pourraient plus croire peser d’une
manière ou d’une autre en fonction de leurs lâchetés petites ou grandes, leurs
motivations cachées, leurs souffrances pour résumer ? Vous y seriez tous au
chômage, que vous soyez escroc, meurtrier, adultère ou bien.. juge.
-Nous parlons de vous.
-Faut- il que je me taise pour concourir à ma défense ?
Je veux bien me situer hors de ce jeu- là, mais vous seriez encore capables
d’interpréter mon silence.
-Nous vous prions de nous manifester un minimum de respect.
La salle d’audience semble se réveiller , l’ordre court sur les nuques raidies
et silencieuses .
Lui ne manifeste aucune émotion apparente. Rien des contorsions habituelles ou
des subtiles modifications du teint et du regard des menteurs professionnels.
-Si je vous disais que je ne mens pas, ce serait peut-être vous mentir. Là
serait le manque de respect. Quant à vous dire pourquoi... pourquoi... pourquoi
vous me jugez menteur, je repose ni plus ni moins entre vos mains et vos
lèvres, Monsieur le Président.
Faudrait-il que je porte en moi la rigueur toute mathématique du langage du même
nom ? Mais vous savez bien que vous en êtes au N ième essai. A chaque fois vous
quittez les théorèmes pour retrouver trace des paraboles et des métaphores.
-Nous ne sommes que des hommes...
-Et moi votre prisonnier . C’est d’ailleurs par là que je vous libère de ce
monde et de ses principes de réalité. Vrai ou Faux ?
-Vous nous avez embrouillé !
-Permettez que je vous donne une chance supplémentaire.
Là-dessus, échappant aux gendarmes qui l’entourent
Il court à la fenêtre et saute dans le vide,
Laissant la salle bouche bée.
Les lettres de l’alphabet le suivent dans sa fuite
Roulant comme cascade le long des murs,
Emportant avec elles les attendus
Les jugements,
Les suspicions.
Depuis le temps
Qu’on lui fait porter tous les mots
Du monde..