L’avenue des Champs Elysées.
Les pavés froids, humides luisent sous la lueur chaude des réverbères. L’allée de platanes remarquables recouverte des feuilles dorées de l’automne apporte une touche de couleur dans cet environnement de pierre et de béton.
Toutes les odeurs mouillées par la bruine à la tombée de la nuit se mélangent. La terre au pieds des arbres, le goudron à peine coulé pour reboucher un trou sur le trottoir, le chien qui passe en me frôlant les jambes, la fumée de la cigarette que tient son maître du bout des doigts, l’arôme du tabac brun de la pipe qu’aspire par petite bouffée le vieil homme en pardessus sur le banc à côté de moi.
A intervalles réguliers, les néons rouges et bleus des enseignes des cafés éclairent de petites tables rondes entourées de fauteuils en osier.
Malgré l’heure tardive, quelques passants s’attardent.
Une longue robe bleue pâle, au décolleté carré, bordé d’un fin liseré de dentelle blanche, laisse apercevoir le bout d’une bottine de cuir noir lacée sur le dessus. Elle est taquinée par un mocassin en croco vernis, marron foncé. Il sort d’un pantalon noir à rayures blanches. Une veste assortie cache en partie un gilet pied de poule. La chaîne argentée d’une montre à gousset tournicote entre les boutonnières.
Assise sur un banc vert bouteille, j’observe la scène.
Le costume se penche vers elle, avance sa manche pour toucher la main fine et délicate gantée de crêpe qui repose sur l’accoudoir. Le gant se laisse séduire, se retourne, offre la paume. Le poignet masculin soulève cette offrande, la porte aux lèvres pleines de désir, l’effleure tendrement.
Un délicat rire cristallin s’échappe de la gorge offerte aux regards.
Le gant s’échappe taquin. Le poignet hésite, triste d’être ainsi laissé, mais bien vite il repart à la conquête de ce mutin, s’avance, frôle, recule puis prestement se saisit de sa convoitise, pour ne plus la lâcher.
Alors un regard tendre plonge dans de jolis yeux bleus. Ils ne se dérobent point, s’abandonnent à la douce caresse des iris noisette. Une lueur d’abandon répond à celle du désir.
Le veston se redresse de bonheur et sans lâcher les doigts conquis, se lève et l’emmène, ses talons claquant allègrement au rythme des bottines.
Je souris devant ce bonheur qu’ils irradient. Je glisse ma main sous le bras de mon père et ensemble nous poursuivons notre chemin.