Les oiseaux me fascinent. J’ai toujours rêvé de voler, de me déplacer dans la troisième dimension ....
Lorsque j’apprends que l’aéroclub de mon village organise une journée porte ouverte, je me précipite en espérant voir des avions, rencontrer des pilotes et nourrir mes rêves.
Je suis un peu déçu en approchant du petit terrain qui se niche en bordure du causse quercynois, car il n’y a pas beaucoup de monde. Mais l’atmosphère bon enfant de la fête se prête aux échanges et à la convivialité.
Très vite, je lie connaissance avec un propriétaire d’ULM qui me propose un baptême de l’air pour un prix dérisoire. J’accepte avec empressement !
Je suis exploitant agricole et ma ferme se trouve à une dizaine de kilomètres de l’aérodrome. Quand le pilote, me demande où je veux aller je lui réponds naturellement que j’aimerai survoler mes champs.
Les sensations ressenties sont plus intenses que tout ce que j’avais imaginé. Mais à ma grande surprise, je découvre un bruit auquel je ne m’attends pas. Je me doute bien que les musiques de Beethoven ou de Brahms qui accompagnent les images aériennes à la télé n’ont rien à voir avec la réalité. Mais ce souffle tempétueux, ces vrombissements violents qui couvrent tout et empêchent de parler me surprennent et m’inquiètent un peu.
Très vite pourtant la magie du vol s’empare de moi. Le temps est superbe, l’air limpide et les couleurs du printemps se fondent en un tableau aux harmonies sublimes. Le soleil est loin de son Zénith et sa lumière rasante permet de découvrir des perspectives insoupçonnées. Je reconnais facilement la masse imposante de ma vieille ferme. J’avais coupé les foins deux jours plus tôt et les champs parfaitement ras donnent une impression de netteté dont je suis assez fier...
Soudain mon attention est attirée par une trace sombre au milieu d’un pré. Peut être une ornière de tracteur !
Je cherche à remplir mon esprit de toutes les images sublimes qui m’entourent, mais je suis obnubilé par l’horrible sillon foncé. Lorsque l’ULM vire dans sa direction, je vois très distinctement, non plus un sillon, mais une structure complète, une sorte de carré à double enceinte. Je suis d’autant plus surpris que je n’ai jamais rien remarqué en labourant ce terrain sur lequel je cultive des céréales.
Je note l’emplacement exact et je mémorise l’orientation de l’ensemble. C’est assez facile car un prunier sauvage marque l’un des coins tandis que l’extrémité d’un sillon se perd dans une haie contre un vieux frêne.
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De retour à la ferme je me précipite sur les lieux que j’ai repérés depuis les airs. Comme je m’y attendais je ne vois rien. J’ai mes repères bien en tête et je balise chaque côté du quadrilatère à l’aide de piquets et de cordelettes, puis je vais chercher une bêche et une pelle.
Je ne sais pas ce que je cherche mais je creuse. J’ai déjà travaillé dans ce champs à plusieurs reprises et je n’ai jamais rien trouvé de remarquable. Quelque chose doit pourtant se trouver en profondeur ! Peut être au niveau de la couche de glaise qui affleure à un peu moins d’un mètre...
Effectivement, en arrivant à cette profondeur, je découvre une trace rectiligne, très nette, avec d’un côté de la glaise jaune et collante, comme partout ailleurs, et de l’autre côté une terre noire, riche, semblable à de l’humus. Je comprends que je suis en présence d’un ancien fossé. Je suis un peu déçu, inconsciemment j’espérais des vestiges romains ou wisigoths, puisque la vallée du Lot fut, de tous temps, un lieu de passage fréquenté.
Il se fait tard et je décide de laisser mes travaux de terrassement en plan. La perspective de mettre à jour un fossé ne m’enthousiasme plus autant.
Le lendemain j’ai quelques achats à faire en ville, j’en profite pour passer à la maison de la presse où je vais régulièrement chercher des périodiques divers. Quand je dis "divers" cela va de "l’Express" à "Sciences et vie" en passant par d’autres revues plus coquines qui me valent à chaque fois un regard désapprobateur de la gérante...
Je traîne dans le magasin lorsque mon regard est attiré par un exemplaire d’"Archéologia" qui traite d’archéologie aérienne. L’une des photos en couverture présente un site qui ressemble étrangement à ce que j’ai vu à partir de l’ULM.
Je rajoute le mensuel à mes revues puis je vais prendre un café dans un bistrot voisin pour le feuilleter. Un article, entre autres, explique pourquoi certaines structures enfouies sont visibles lors de circonstances exceptionnelles comme les sécheresses, les chutes de neige ou la période des moissons. Dans mon champ, ce serait la différence d’humidité entre les anciens fossés et le reste du terrain, qui créerait des variations de hauteur invisibles à l’œil nu.
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De retour à la ferme, je n’ai pas de travail urgent en perspective, je rassemble mes outils et je retourne à l’endroit balisé la veille. En quelques heures je mets à jour une portion de fossé d’une vingtaine de mètres. Un éclat blanchâtre attire mon attention car il se détache nettement sur la terre noire. J’espèrais trouver un objet de valeur mais ce n’est qu’un os long, peut être un fémur. A proximité un autre os plus petit dépasse de la terre. Je le ramasse également et le pose soigneusement à côté du premier. Je déterre ainsi un ensemble dont j’ai beaucoup de mal à définir l’origine. Ce doit être un mélange de plusieurs squelettes car certains sont indéniablement humains alors que d’autres appartiennent à des espèces animales, chèvres ou daims...
Je continue de creuser dans l’espoir de découvrir enfin quelques menus objets qui pourraient me payer de ma peine, mais je n’accumule que des os, des côtes, des omoplates, des sabots. Soudain je mets à jour la forme caractéristique d’un crâne. Je soulève difficilement l’ensemble couvert d’une terre noirâtre et compacte qui colle à l’os. A l’aide d’un couteau de poche je défais les mottes et gratte délicatement les zones souillées par l’humus.
Je suis stupéfait par ce que je vois. Stupéfait est encore bien faible pour exprimer ce que je ressens, pourtant il faut bien que je me rende à l’évidence : je tiens entre mes mains un crâne humain qui porte des cornes de bouc !
Ce n’est pas un montage plus ou moins habile. Non ! Les cornes sont bien issues du crâne, elles ne sont ni collées ni serties !
Je retourne cet objet étrange dans tous les sens, sans vraiment comprendre. Brusquement une foule de questions se bousculent dans ma tête : et si les pattes de chèvres appartenaient, elles aussi, au même squelette ? et si j’avais bien réuni tous les os, non pas de plusieurs, mais d’un seul être ? A quoi ressemblerait il ? n’aurait il pas la silhouette d’une de ces gravures naïves qui représentent le Diable ?
Pour l’instant je ne sais pas quoi faire de ma découverte. Qui prévenir ? Pour être très franc j’ai peur de passer pour un fou ! Mais je suis passablement excité et j’ai du mal à mettre mes idées en place. Je range mes trouvailles dans mon atelier et décide d’aller me coucher.
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Au milieu de la nuit un rêve étrange vient me hanter.
Je suis au centre d’une clairière dans un temple de bois et de pierre. Je porte une longue tunique blanche, je suis pieds nus et je tiens à la main une dague à manche doré. Devant moi, allongée sur une pierre plate, une jeune fille dénudée est attachée, bras et jambes écartés. Un individu aux pattes et aux cornes de bouc vient se positionner entre les jambes de la fille. Son sexe dressé ne laisse aucun doute sur ses intentions. Lorsqu’il pénètre la demoiselle il m’ordonne d’enfoncer la dague dans son cœur . Comme je ne peux m’y résoudre, il me regarde droit dans les yeux avec un sourire indéfinissable et dit.
Si tu ne veux pas me donner le sien, il faudra que tu me donnes le tien !...Il me faut du sang !
Je me réveille en nage, la peur au ventre. Il est cinq heures du matin. Comme je ne peux pas me rendormir, je me rends dans l’atelier où j’ai entreposé les ossements. Ils sont disposés en vrac sur un établi d’ébéniste. La tête est placée un peu à côté et semble me regarder narquoise. J’essaye de mettre de l’ordre dans ce bric-à-brac en classant les os selon leur provenance, bras, jambes (ou pattes), côtes, vertèbres... je suis très vite confronté à mes lacunes dans le domaine des sciences anatomiques. Je décide de remettre ce travail de classification à plus tard, lorsque j’aurais trouvé une planche décrivant un squelette.
Dans la journée je dois me rendre à Agen pour négocier un prêt auprès de mon banquier. La survie de mon exploitation en dépend et je ne peux pas me permettre de négliger ce rendez-vous. Je rentre tard dans la soirée et après avoir simplement jeté un coup d’œil sur ma découverte je vais me coucher et m’endors immédiatement.
Le cauchemar de la veille vient de nouveau me hanter.
Le satyre est allongé sur le corps inerte de la jeune fille. Elle paraît inanimée mais ses yeux grands ouverts et son regard implorant prouvent qu’il n’en est rien. Je ne sais pas combien de fois la bête l’a violée. Rien ne semble devoir arrêter l’animal en rut.
Moi, dans mon ridicule accoutrement de prêtre, je reste immobile, les bras ballants, les yeux brouillés par les larmes. Le Satyre montre ma dague en s’agitant frénétiquement dans le corps meurtri de la demoiselle.
Son sang ou le tien ? Il va falloir que tu te décides ...
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Je m’éveille et je ne bouge pas, les yeux ouverts dans l’obscurité. Que signifie ce rêve ? Je ne connais pas la fille allongée, le Satyre doit être la représentation que je me fais de l’être dont j’ai trouvé les ossements...
Je me lève et me précipite dans mon atelier.
J’entreprends le nettoyage systématique de tous les os et, à l’aide d’une planche anatomique achetée la veille, je tente de reconstituer le squelette de l’être étrange. J’ai positionné le crâne entre deux gros clous plantés sur le bord de l’établi et j’essaye de fixer les vertèbres au moyen de lanières agrafées dans le bois lorsque j’entends quelqu’un appeler dans la cour. Sous l’effet de la surprise je fais un faux mouvement. Une agrafe vient se planter dans ma main qui se met à saigner abondamment. Des gouttes de sang constellent mon établi et s’écrasent sur le crâne jauni en dessinant des cercles rouges.
Dans la cour deux gendarmes m’attendent patiemment à côté d’une fourgonnette bleue. Je n’ai rien à me reprocher (ou alors pas grand chose !) pourtant je n’aime pas cette visite.
Monsieur Thomas ? Mathieu Thomas ?
Oui ! Qu’est ce que je peux pour vous ?
Nous aimerions vous entendre.
A quel sujet ?
Nous souhaiterions prendre votre déposition.
Je ne sais pas pourquoi mais ils me rendent agressif.
Vous avez un mandat ?
Ce n’est pas une perquisition. - me répond le gradé- mais si vous ne voulez pas répondre, on vous convoquera au commissariat.
Bon ça va ! Qu’est ce que vous voulez savoir ?
Vous habitez seul ici ?
Oui !
Vous n’avez pas de parent, de locataire ? est ce que vous louez des chambres de temps en temps ?
Non, pourquoi vous me demandez ça ?
Il y a des vols dans le coin, et il semble que ce soient des étrangers à la région. Ils doivent louer dans un gîte ou une chambre d’hôte, alors on recense toutes les maisons isolées de la région.
Nous discutons de tout et de rien. L’atmosphère s’est détendue, je leur offre un café et lorsqu’ils quittent la ferme, il ne s’est pas écoulé plus d’une heure. Après leur départ je soigne ma main en passant la blessure sous l’eau, puis je retourne dans l’atelier pour finir le puzzle macabre.
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Mais, à ma grande surprise, l’atelier est vide ! Il n’y a plus rien, plus un os visible, ni sur l’établi, ni par terre...Ma première pensée est que les gendarmes sont venus pour détourner mon attention tandis qu’un complice s’emparait des ossements. Mais, réflexion faite, ce n’est pas possible, une action pareille se serait apparentée à du vol !
Je fouine un peu partout et, en passant devant la porte de l’atelier mon sang se glace. Sur le sol, très nettes, des traces de pas se distinguent dans la poussière. Enfin, pas exactement des traces de pas, mais des empreintes de sabots fourchus. Des sabots de bouc !
Depuis cette histoire étrange, dont je n’ai parlé à personne, la région vit dans la terreur. Toutes les nuits des femmes, des jeunes filles, des fillettes sont violées. Elles peuvent être enfermées, surveillées, cloîtrées... elles sont la proie d’un monstre insaisissable. Mais le plus terrible est qu’aucune des victimes ne peut le décrire, il n’y a pas de portait-robot ....
Le pays baigne dans une atmosphère lourde et malsaine. Chacun regarde son voisin d’un œil soupçonneux et se demande où frappera la bête. J’observe ces hommes et ces femmes, vaguement honteux, car je crois connaître la vérité...
Je me demande quelle est ma part de responsabilité ? Bien évidemment je la nie !
Ce matin, j’ai reçu une convocation de la gendarmerie, afin d’effectuer un prélèvement génétique. Un simple prélèvement de salive, paraît il ! En arrivant à la caserne, je ressens une tension quasi-palpable dans les locaux. Il y a des galonnés un peu partout, alors que des dizaines de journalistes attendent derrière les grilles du bâtiment.
Dans le hall je reconnais l’un des deux gendarmes venus m’auditionner à la ferme quelques jours plus tôt, je lui demande négligemment.
Qu’est ce qu’il se passe ici ? C’est la guerre !
Il me reconnaît et sourit crispé.
Non monsieur Thomas, mais on n’en est plus très loin. Si on ne met pas la main rapidement sur le violeur je crois qu’il va y avoir des mutations disciplinaires. Paris s’affole. Le ministre a prévu de passer chez nous après demain pour s’informer de l’avancement de l’enquête. Inutile de préciser qu’il faudrait mieux qu’elle avance.
Vous avez des pistes ?
Il a un moment d’hésitation.
Une seule. Ce salopard laisse sa signature génétique à chaque fois... si vous voyez ce que je veux dire. C’est d’ailleurs pour ça que vous avez été convoqué. On va passer tous les mâles de la région au crible et on finira bien par le prendre. C’est là bas que ça se passe.
Il me montre un coin où s’affairent trois personnes en blouse blanche. Sans doute des médecins ou des infirmiers. Ces derniers me prélèvent un peu de salive sur une spatule, la placent dans un tube puis ils me font signer une étiquette qu’ils collent dessus.
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Il est dix heures du matin, je suis en train de remplir des formulaires. Six hommes vêtus de noir, casqués, cagoulés, armés comme des héros de science-fiction débarquent dans ma salle à manger en faisant exploser la porte et les fenêtres. Ils me plaquent au sol et me nouent les mains dans le dos. Je n’ai pas le temps d’esquisser un geste, je suis bâillonné, menotté et traîné dans la cour où m’attendent deux individus en costumes cravate.
Le reste est d’une banalité affligeante, garde à vue, avocat commis d’office, interrogatoire ...Je comprends assez vite que la comparaison de mon ADN avec celui du violeur ne laisse place à aucun doute. Je suis le monstre !
Des témoins défilent à la gendarmerie, ils me décrivent comme un animal, un obsédé associable, un pervers ... La marchande de journaux se fait un plaisir de citer la liste des revues porno que j’achetais chez elle, en prenant un air horrifié. Des experts extirpent la plus petite photo érotique du disque dur de mon ordinateur. Des journalistes fouillent le moindre recoin de mon existence et traquent les demoiselles qui auraient croisé mon chemin dans une vie antérieure ...
J’assiste impuissant à la mise à nu, puis à la destruction systématique, de ma vie.
Je ne trouve un peu de repos que dans ma cellule où les autorités ont jugé bon de me placer en isolement.
Pour je ne sais quelle raison ces mêmes autorités me suggèrent de recevoir la visite d’un prêtre. Cela fait une éternité que je n’ai pas côtoyé ces gens là, pour lesquels je n’éprouve pas de sympathie particulière. J’accepte cependant parce que j’espère trouver quelqu’un de suffisamment ouvert et érudit pour pouvoir parler des choses qui me sont arrivées.
Lorsque je vois entrer dans ma cellule un africain en costume gris, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. L’ecclésiastique, un brave camerounais d’une trentaine d’années ne s’offusque pas, comme s’il avait l’habitude de ce genre de réaction.
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Monsieur Thomas, vous avez souhaité la présence d’un prêtre ? ce n’était pas pour soulager votre âme ? Je me trompe ?
Je souris intérieurement.
Vous avez raison monsieur heu ...
Il me regarde intensément.
En général on dit "mon père" mais vous pouvez m’appeler comme vous voulez. Mon nom est M’Bomo.
Dans ce cas, monsieur, ou mon père, je dois vous avouer que j’espérais la présence de quelqu’un d’autre.
Et qui auriez vous souhaité ?
Quelqu’un qui connaîtrait le latin ?
Le prêtre sourit.
Il suffisait de le dire ! j’ai été élève au séminaire de Rome ... et au Vatican la maîtrise du latin est utile !Bon alors, vous pouvez me dire ce que vous attendez de moi ?
C’est assez compliqué à expliquer et pour tout dire difficile à croire ...
Est ce que cela à un rapport avec les faits dont vous êtes accusés ?
Oui ! mais ce que je vais vous dire ne peut pas être entendu par un simple gendarme.
Je vous écoute, mais je vous mets en garde, ce que vous allez dire n’est pas une confession ... Vous en êtes conscient ?
Je ne demande pas à être entendu dans ce cadre.
Je commence à raconter mon histoire, depuis la kermesse de l’aéroclub. Il croise ses mains sur sa poitrine et tient la tête légèrement inclinée vers l’avant. Lorsque j’arrive à l’épisode de la tête cornue, il ne peut dissimuler sa surprise. Il m’interrompt avec vivacité.
Ce n’est pas possible vous vous êtes trompés !
J’aurais aimé me tromper. Mais ce n’est pas tout.
Le père M’Bomo n’a plus du tout l’air patelin qu’il arborait au début de notre conversation. Il est tendu et très nettement inquiet. Lorsque j’évoque mes rêves, il s’empare d’un carnet et note fébrilement ce que je raconte. De temps en temps il me fait signe de la main pour que je parle un peu moins vite.
Puis arrive l’épisode de l’atelier et des gouttes de sang qui coulent sur le crâne. Pour étayer mon affirmation je lui montre la cicatrice que j’ai encore sur la main. Il passe ses doigts sur la trace blafarde, en tremblant. Sa lèvre inférieure est agitée par un tic qui déforme son visage de façon inquiétante.
D’une voix chevrotante, il murmure.
Cela me fait penser à un dieu en l’honneur duquel on célébrait un culte sur le mont Palatin à Rome. Il faudrait que je fasse des recherches à ce sujet.
Je continue de raconter ma petite histoire. La venue des gendarmes, la disparition du squelette, les empreintes de bouc ... Le prêtre se trémousse sur son siège. Une ride profonde barre son front. Il m’interrompt.
Qu’est ce que vous avez déduit de tout cela ?
Je lève les yeux vers le ciel.
Je n’en sais rien ! j’ai mis le doigt sur une monstruosité diabolique. Par je ne sais quelle diablerie mon sang a ressuscité ce monstre ...
Il se signe rapidement. Je continue comme si je n’avais rien vu.
J’imagine que, s’il s’est régénéré à partir de mon sang, la signature génétique peut être la même ...
Le prêtre se redresse et respire un grand coup.
Vous vous rendez compte de l’énormité de tout ce que vous venez de raconter.
Bien sûr ! pourquoi pensez vous que j’ai accepté votre présence. Vous croyez que j’aurais raconté ça aux enquêteurs ?
Il attend un peu avant de répondre.
Comment voulez vous que je vous crois ?
Je savais qu’il allait poser cette question.
Au fond de vous, vous savez que je n’ai pas menti. Quant à la preuve ... attendez un peu, vous verrez que les viols vont continuer ! avec la même signature ADN... et ce ne sera pas moi, par la force des choses !
Qu’est ce que vous attendez de moi ? Pourquoi vous avez tenu à me raconter votre histoire ?
Je voudrais savoir si vos connaissances peuvent m’être d’une quelconque utilité ... il s’agit peut être d’un démon antique auquel l’église a déjà été confrontée !
Je vais voir si je peux vous aider. Est ce que vous m’autorisez à en référer à mes supérieurs ?
Bien sûr !
Et je peux raconter cette histoire aux enquêteurs ?
Je souris, d’un sourire las.
Si ça peut vous faire plaisir et si vous n’avez pas peur de vous couvrir de ridicule.
Il me regarde droit dans les yeux.
Monsieur Thomas, si ce que vous avez raconté est vrai, et malheureusement j’ai tendance à le croire, la crainte du ridicule est la dernière de mes frayeurs !
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Le lendemain, vers midi, la porte de ma cellule s’ouvre dans un vacarme assourdissant. Mon avocat, accompagné de deux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, m’attend dans l’embrasure de la porte, il me tend la main.
Bonjour monsieur Thomas. Comment allez-vous. J’ai une bonne nouvelle pour vous.
Je n’aime pas ce petit homme pédant. Mais il m’a été imposé par la procédure.
On me relâche ?
Je ne le laisse pas me répondre.
Si on me relâche, c’est qu’une pauvre fille vient de se faire violer !
Le sourire de l’avocat disparaît ...
Dehors le père M’Bomo m’attend en compagnie d’un autre prêtre plus âgé. Je remercie l’avocat pour son intervention puis je me dirige vers les deux ecclésiastiques. Le prêtre africain ouvre la portière du véhicule.
On vous ramene chez vous monsieur Thomas.
Il me montre le deuxième homme.
Je vous présente le père Sylvestre.
L’homme d’une soixantaine d’année, au visage carré et cheveux ras, me fait un petit signe de la tête. Ses yeux bleus très clairs me transpercent littéralement. Le père M’Bomo continue.
Le père Sylvestre est un exorciste de Rome, que monseigneur l’Evêque a mandaté sur cette affaire.
Sur le trajet je refais, à leur demande, le récit de ce que j’ai raconté la veille. Lorsque nous arrivons chez moi, les deux hommes annoncent qu’ils souhaitent voir les fouilles, puis l’atelier. A chaque fois le père Sylvestre marmonne à voix basse des incantations incompréhensibles avant de quitter les lieux.
Je les invite à boire un café. Dès que nous sommes assis dans le salon, l’exorciste s’adresse à moi pour la première fois, d’une voix très grave.
Nous sommes en présence d’un démon d’origine latine. Un avatar de Faunus lupercus dont la lubricité n’est plus à démontrer puisqu’on l’invoquait pour faciliter la saillie du bétail ! il a été importé par les légions romaines car à l’origine il ne concernait que l’habitat du Palatin à Rome. Il était l’objet d’un culte, les lupercalia, au cours desquelles était sacrifié un bouc. Je passe sur le sens de cette évocation dont un moment fort était une aspersion de sang ... sensé le régénérer ...
Je veux bien vous croire mais est ce que ça peut nous aider ?
Un sourire froid illumine le visage de l’exorciste.
Nous le connaissons, nous savons qui il est ! nous avons des archives...il faut espérer que vous n’avez pas tout enlevé dans vos fouilles.
Je ne comprends pas .
Allez chercher vos outils, pelle, bêche, pioche ... Nous retournons au temple.
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Je suis dans le trou, je remplis un tamis dans lequel les deux prêtres cherchent minutieusement la moindre esquille d’os. Après une heure de travail acharné nous n’avons toujours rien trouvé. Je suis sur le point de rendre les armes quand le père Sylvestre pousse un mugissement puissant.
Voilà ce que nous cherchions.
Il tient entre ses doigt un tout petit bout d’os, une phalange sans doute !
Retournons chez vous, nous allons avoir besoin d’un peu de votre sang.
Je sursaute comme piqué par un taon.
Vous ne trouvez pas que les conneries, ça suffit !
Le père M’Bomo suffoque, outré que je m’adresse de la sorte à un envoyé du pape. Ce dernier ne s’émeut pas.
Je n’ai pas l’intention de vous saigner. Ce sera une simple prise de sang. Je vous rassure, je suis diplômé de médecine et j’ai mon matériel dans la voiture.
OK ! qu’est ce que vous comptez faire avec l’os et mon sang ? Vous ne comptez pas fabriquer un deuxième monstre ? vous ne pensez pas qu’une seule saloperie suffit ?
Il réfléchit un instant avant de répondre.
Nous n’allons pas en refaire un autre, mais nous allons nous harmoniser avec lui, nous syntoniser et l’attirer dans un piège pour le renvoyer chez lui.
Vous n’allez pas le détruire ?
Le prêtre sursaute puis rit franchement.
Attendez jeune homme, vous m’avez bien regardé ? Je ne suis qu’un prêtre ! lui c’est un dieu !
Je suis surpris qu’il dise une chose pareille. Le père M’Bomo est atterré. Je réplique sur un ton ironique.
Je croyais que pour les chrétiens il n’y avait qu’un Dieu !
Il ricane avant de lâcher.
Bien sûr il n’y a qu’un Dieu ... et tout le reste est diabolique ! mais au résultat, Dieu ou Diable, pour un simple prêtre c’est du pareil au même. Si les choses se passent bien je le renvoie dans ses ténèbres.
Et si les choses se passent mal ?
Les femmes de la région ont du souci à se faire !
Vous aurez besoin de moi ?
J’ai déjà suffisamment abusé de vous, de vos connaissances, de votre sang ... Pour le reste j’en fait mon affaire.
Les deux ecclésiastiques me quittent vers dix huit heures. En s’en allant le père Sylvestre me recommande de fermer hermétiquement ma maison et de ne pas m’inquiéter si cette nuit j’entends du bruit du côté des fouilles.
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Je suis de nouveau au milieu de la clairière, entouré d’arbres que je devine immenses sous une lune très pâle. Cette fois c’est moi qui suis attaché, nu, sur la pierre plate. Le Satyre se tient devant moi le long poignard levé au dessus de sa tête. Soudain il s’arrête et hume l’air comme le ferait un chien de chasse. Je distingue une lueur d’inquiétude dans son regard, il se retourne vers moi et dit.
La mort sera ta délivrance, et moi j’ai besoin de ton sang.
Il va abaisser son arme et transpercer mon cœur mais il hésite encore, inquiet. Il semble enfin se décider et d’un geste rapide il enfonce sa dague dans mon ventre. Une douleur intolérable inonde mon corps. J’ai un spasme violent qui libère ma jambe que je projette vers lui. Mon pied ! au moment où il se tend je le vois se transformer en un sabot fendu au bout d’une patte maigre couverte de poils roux...
Le visage du faune exprime une surprise intense. Il se penche sur moi et tout en couvrant ses bras de mon sang il plonge son regard dans le mien. Je sens mon esprit entraîner dans un malstrom de sentiments divers au milieu desquels émerge une lubricité infinie.
Soudain je ressens une sensation de brûlure encore plus intense que la douleur qui me taraude le ventre. J’ouvre les yeux, la bête est rivée à moi et s’enflamme. Je pense au diable, au milieu des flammes de l’enfer, puis tout devient noir ...
Je me réveille avec un mal de tête terrible et une barre à hauteur du plexus solaire. Je jette un œil sur ma montre, il est déjà huit heures. J’ouvre les volets, très mal à l’aise et machinalement je regarde en direction du temple.
La portion de champ où se trouvait le fossé est noire, comme ravagée par un incendie. Le prunier n’est plus qu’un tronc calciné Des volutes de fumées blanches s’élèvent doucement dans la fraîcheur du matin...
La série de viols dans la région de Fumel s’est interrompue de façon aussi soudaine qu’elle avait débuté.
Les responsables de la gendarmerie ont été mutés. Les enquêteurs continuent leurs investigations mais il semble qu’aucune piste sérieuse n’ait été découverte.