Je le voyais chaque jour quand j’allais au travail. En automne, il balayait les feuilles mortes et au printemps les pétales des cerisiers en fleur. Le reste du temps, il ramassait les mégots, les mouchoirs en papier ou autre immondice que le citadin, homme évolué, laisse tomber sans le moindre scrupule sur les trottoirs de la ville.Les passants le croisaient ignorant le sourire qu’il leur adressait, diamant pur qui illuminait son visage couleur charbon.Un matin, je me suis arrêtée pour lui rendre son salut, alors, il me prit la main et d’un geste ample me désigna quelque chose en direction des immeubles qui nous entouraient.« Ferme les yeux et regarde au fond de ton cœur. Tu le vois mon pays ? Je suis un Massaï, mon père était un grand guerrier, regarde le courir la lance à la main, dans ma savane où le grand soleil brûle tout ».Il parlait de la fierté de son peuple, du sorcier aux crabes qui prédisait l’avenir, des soleils pourpres, des lions et des gazelles et le bruit des tambours résonnaient dans chacune de ses paroles.Il me lâcha soudain la main et reprit son balai. Il avait perdu son sourire et ses yeux s’étaient éteints. Il ne me voyait plus, ne m’entendait plus, emmuré par les souvenirs.Le lendemain, il n’était pas là, et plus jamais je ne le vis.Il me plaît à l’imaginer fier et conquérant, debout parmi les siens, les pieds nus dans les herbes séchées et le sourire à jamais retrouvé.
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Le balayeur
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A un seigneur de guerre.