Au cœur des abysses sombres, là où les poissons d’argent dansent en éclats miroitants reposent les vestiges d’un ancien galion sombré par une nuit sans lune où la mer en tourments fit se dresser les lames acérées d’écume et de sel. Il gît sur un linceul de sable, ombre inquiétante et solitaire, géant inutile et dérisoire. Les algues douces caressent ses blessures béantes apaisant de leurs murmures les âmes troublées des marins qui s’en sont allés, pris au piège de leur maîtresse cruelle.
Le ciel se souvient encore de leur lutte acharnée contre les flots en courroux, de la coque grinçante sous les assauts terrifiants, des voiles déchirées, lambeaux d’espoirs battant au vent mauvais.
Des heures durant, le capitaine tenta de maintenir le gouvernail et de devancer les creux infinis mais à ce jeu, l’océan est toujours le plus fort et dans un craquement sinistre la barre se rompit soudain laissant dériver le navire fou de terreur, frêle esquif ballotté sur l’onde furieuse.
Alors les plus robustes armèrent les avirons, essayant ainsi d’échapper à leur funeste destin, mais rien n’y fit, la mort, aux aguets, les frôlait, tendant vers eux ses doigts décharnés. Longtemps, ils la repoussèrent, sirène troublante, voulant encore croire en leur avenir.
Cramponnés aux canons, deux petits mousses, encore des enfants, pleuraient en silence, les marins se signaient, impuissants et si faibles, eux qui hier encore triomphaient des hauts bancs, fiers de leur bravoure et de leur vigueur.
Enfin dans une plainte déchirante d’animal blessé, le bateau se cabra comme un cheval fougueux et pour finir se brisa, emportant par le fond les hommes affolés et leurs chimères.