Bon ! Aujourd’hui, je vais oser vous parler ! Je vous invite dans mon univers ! Vous aller voir ! Oui, j’ai bien dit : voir ! Vous ne serez pas déçu !
Vous pensez que mon univers est limité ? Il l’est ! Tout autant que le vôtre !
Vous pensez que je n’ai pas de chance ? Bah ! Ça dépend des jours ! Et vous ?
Vous pensez que j’ai beaucoup de courage ? Bof ! Pas plus que vous ! Je ne suis qu’un homme après tout ! Evidemment, j’ai une petite particularité par rapport à vous ! Hé oui ! J’ai onze doigts de pieds !... Mais non, c’est pour rire ! Je n’ai jamais vu quelqu’un avec onze doigts de pieds ! En fait, je n’ai jamais vu quelqu’un ! Voyez-vous (encore ! C’est une manie) ça va faire bientôt cinquante ans que je suis aveugle !
Oh, je vous en prie ! Ne faites pas cette tête ! Je sens votre malaise ! L’acidité moite de vos effluves témoigne de votre gène ! Les odeurs ne trompent pas !
Tenez ! Je suis certain que mon répertoire olfactif est beaucoup plus important que le vôtre ! Chaque chose, chaque personne possède sa propre odeur. C’est une note unique !
L’odeur de votre embarras me rappelle celle de mon oncle Albert quand j’étais petit ! Le pauvre homme n’a jamais su me parler ! Pour me dire quelque chose, il s’adressait toujours à ma mère en parlant de moi à la troisième personne ! Il devait avoir un problème de vue ce type pour ne pas s’apercevoir que j’étais là ! Ma mère sentait la maison, une odeur aimée, reconnaissable entre toute. C’était une odeur chaude, un parfum d’épices en vrac, c’était l’odeur de chez moi !
Mon père, lui, traînait toujours avec lui l’odeur âcre du tabac à pipe. Elle imprégnait ses vêtements et sa peau. Je le sentais s’approcher de moi avant même qu’il me mettre la main sur la tête pour me frotter les cheveux en me traitant affectueusement de « galopin ».
Mon petit frère sentait le lait caillé quand il était bébé. Enfin, dans le meilleurs des cas ! Parce que souvent... Enfin, vous voyez ce que je veux dire ! Les couches jetables n’existaient pas encore ! Plus grand, il sentait l’herbe et la terre en raison de sa grande activité ludique ! Bien entendu, j’ai été le premier à découvrir qu’il avait fumé en cachette sa première cigarette. Bien entendu, j’ai été le premier à le dénoncer à mes parents, pour son bien évidemment ! Et bien entendu, je m’en suis mordu les doigts en l’entendant pleurer !
J’ai rencontré ma femme parce qu’elle sentait le printemps alors qu’on était au mois de novembre ! Ah ! Magie du parfum chimiquement créé dans le seul but de faire perdre la tête à de pauvres hommes sans défenses ! C’était un savant mélange d’hespéridés, de jasmin, de rose, d’iris de Florence, de vétiver Bourbon, de cèdre de Californie de musc et de cuir de Russie. Bien entendu, je profitais de mon don pour l’éclabousser de mon savoir en lui énumérant ce florilège de senteur qu’elle transportait avec elle ! La petite chérie en fut éblouie ! Elle me tomba immédiatement dans les bras ! Enfin, presque ! Il s’est quand même écoulé quelques semaines avant que je me permette de soulever son petit corps gracile ! Oups ! J’allais oublier ! Le parfum de ma femme est Anaïs Anaïs de Cacharel !
C’est fou ce que notre fils m’a rappelé mon frère lorsqu’il était bébé ! Sauf qu’au fur et à mesure qu’il grandissait il ne sentait pas l’herbe et la terre vu que nous vivions en appartement ! Non ! Lui, sentait plutôt le savon, la gouache et la pâte à modeler ! Pour ce qui est de sa première cigarette, je crois qu’il a été assez malin pour en dissimuler l’odeur par d’autres du genre, chewing-gum et eau de toilette ! Hum ! ...Connait son père ce p’tit !
Bon ! Je vais vous laisser ! Il faut que je rentre ! Ce soir, avec ma femme on garde notre petit-fils pendant que ses parents sont au restaurant !
Il a cinq mois !
C’est fou ce qu’il me rappelle mon frère et mon fils quand ils étaient bébés !