Absorbé par ses pensées, le lieutenant Soberg, avançait machinalement, se laissant porter par ses pas sans se poser de questions. Il s’aperçut seulement au bout de plusieurs minutes qu’il était planté devant la porte qui abritait le centre névralgique, la salle de l’Hemphytre. La main en suspend sur la poignée, il hésitait sur la conduite à tenir. D’une part son éducation rigide et sa formation de militaire l’incitait à obéir sans discuter aux ordres. D’autre part, il ne savait que trop bien ce qui pouvait arriver quand on sortait un Hemphytre de son environnement. De nombreuses histoires courraient et alimentaient des rumeurs sur des navires qui auraient disparu corps et bien après avoir débranché un Hemphytre de l’ordinateur auquel il était relié. Ici et là des ilots de résistance se formaient contre l’utilisation incontrôlée des Hemphytres. Le lieutenant avait été prudemment approché par l’une de ces cellules qui prônaient un retour aux valeurs traditionnelles.
La voix impatiente du capitaine se fit entendre dans son communicateur, sortant le lieutenant de sa rêverie.
Lieutenant ! Vous devriez déjà être de retour, que faites-vous ?
Je réfléchissais Capitaine, et si toutes ces histoires qu’on entend étaient vraies ?
Quelles histoires ?
Vous savez bien, ces vaisseaux disparus sans laisser de trace après avoir débranché leurs Hemphytres dans des circonstances troubles.
Allons lieutenant, vous ne croyez tout de même pas à ces fadaises colportées par quelques illuminés en mal de reconnaissance.
Je ne sais pas capitaine, je ne sais pas. Mais il est de mon devoir d’émettre des réserves quant à votre décision. Débrancher l’Hemphytre et passer en commandes manuelles compte tenu de ce qui se passe, me paraît être une erreur.
Lieutenant, je sais ce que je fais, amenez-moi l’Hemphytre ici et vous comprendrez.
Bien capitaine, bien.
Le lieutenant Soberg prononça ces derniers mots sans grande conviction, mais malgré tout, le calme de son capitaine l’avait quelque peu rassuré, suffisamment pour en tout cas pour qu’il exécute les ordres de son supérieur. Cette fois-ci sa main droite se posa fermement sur la poignée de la porte et il poussa celle-ci pour entrer dans la pièce.
L’hemphytrium (salle de l’Hemphytre) est une pièce totalement hors du temps dans tous les navires d’exploration. Par mesure de précaution, c’est le seul endroit du vaisseau qui ne soit pas sous le contrôle d’un ordinateur et par voie de conséquence sous celui de l’Hemphytre.
La pièce ressemble à un sauna finlandais. Du sol au plafond tout est en bois, y compris la porte d’entrée. La seule de ce type dans tout le bâtiment, avec une poignée en bois tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il n’y a pas d’électricité non plus, on ne sait jamais. Pour s’éclairer, il y a une lampe à acétylène qui dispense une lumière tremblotante en projetant des ombres inquiétantes sur les murs.
La pièce est totalement nue et dépourvue de la moindre décoration. Au centre, sur une colonne en bois de 1m20 de haut et 80cm de diamètre repose une boite hermétique et translucide contenant l’Hemphytre baignant dans un bain d’Anakron. Sur cette boite est fixé un émetteur d’Ubt autonome. Un seul câble relie l’Hemphytre à l’extérieur. Ce cable est lui même connecté à l’ordinateur central du vaisseau dans une autre pièce. Enfin pour terminer, il y a une prise normalisée à coté de l’émetteur pour connecter un système externe indépendant.
Le lieutenant Soberg avait été formé pour une tâche bien précise qui consistait à simultanément débrancher le câble de connexion et enclencher l’émetteur autonome d’Ubt, ensuite dans les 10 secondes qui suivaient raccorder le système externe de communication avec l’Hemphytre.
Cette manœuvre d’apparence très simple devait être exécutée avec une extrême précision sous peine de mettre hors d’usage tous les systèmes informatique et désactiver définitivement l’Hemphytre. De plus cette opération ne pouvait être effectuée que par un humain.
Ça serait si simple, pensait le lieutenant. Après tout il n’était qu’un homme et il pouvait commettre une erreur.
Puisque de toute manière, quoiqu’il fasse le vaisseau passerait en pilotage manuel et ce n’est pas un ordinateur de plus ou de moins qui changerait grand chose. Tout reposait sur l’Hemphytre.
Soberg était dans l’expectative, il hésitait entre deux conduites à tenir, diamétralement opposées.
Soberg fit ce qu’il avait à faire et sortit de la pièce.
Capitaine, dit-il en appuyant sur l’intercom, c’est fait, je remonte sur la passerelle.
Bien lieutenant, tout est en ordre ?
Il semblerait que oui, Capitaine.
Le devoir et l’obéissance, mêlés de curiosité, finalement l’avaient emporté et le lieutenant Soberg, une fois l’Hemphytre chargé sur un lévitron, prit le chemin du retour.
L’Hemphytre avait bien tenté de négocier, essayant de convaincre Soberg de ne pas le débrancher, car sans lui le vaisseau ne serait qu’une coquille vide. Mais c’était peine perdue, le lieutenant Soberg, suivant en ça à la lettre la procédure, portait des bouchons d’oreilles, le rendant sourd à toute supplique de l’Hemphytre qui tel les sirènes d’Ulysse usait de tout son pouvoir de persuasion, mais en vain.