Pour bien apprécier Noël il faut être chrétien, membre d’une famille unie et consommateur perclus de bonnes intentions.
La magie de Noël réside dans une communion d’êtres qui célèbrent la naissance de leur Christ roi, heureux d’être ensemble et heureux de rendre les autres heureux. On se rassemble autour de la crèche, sous le sapin et on mange en attendant la messe de minuit où communier avec encore plus d’heureuses personnes de l’heureuse immense famille des croyants zélateurs du fils de Dieu. Ensuite, les yeux pleins de larmes joyeuses chacun ouvre ses cadeaux, l’investissement de l’amour des autres à son égard. On s’embrasse. on va se coucher heureux.
Moi je suis radin, solitaire et athé.
Radin ! Enfin, pas complètement. Je serais, plutôt, anticonsummériste.
Je n’aime pas me faire imposer par le Grand Capital et les petits commerçants (en reste t’il encore ? vraiment ?), le marketing et sa publicité petitement vertueuse, le moment où dépenser mes sous, ni comment les dépenser. Le blanc, les soldes, la mode printemps-été, les soldes, la rentrée, la mode automne-hiver, les cadeaux de Noël, les étrennes, ... Rythme naturel de la société de consommation. Saisons imposées.
Beurk !
Suis-je libre ? Ai-je mon libre arbitre lorsque par saison se remplissent et se vident les rayonnages au gré des opérations commerciales imposées ?
Et si je veux acheter mes draps en août ? Et offrir des jouets en avril ?
Ah ! Mais mon petit môssieur ! On en a pas en ce moment ! Revenez en janvier (en septembre, en décembre, ...) !
Merde !!!
Athé ! Ah oui ! Parfaitement !
Il faudrait un Saint Benoît, bible en main gauche et glaive brandit dans la droite, ou un Torquemada, pour me faire envisager de croire en Dieu, sous la torture (mais peut-être que comme Philippe Marchand/Lino Ventura dans « l’Armée des ombres » je refuserais de courir). Partant de là, la naissance d’un de ses rejetons ... Surtout si l’accouchée est vierge, visitée par ange (en présence de son mari ?). Ah ! Ah ! Ah !
L’admirable fable ! Une bien belle histoire en fait si elle n’avait servi à asservir les hommes pendant des siècles.
Solitaire ! Enfin, pas complètement ! Libre, oui !
Les femmes que j’aime, qui composent et agrémentent mon univers n’ont pas à me supporter tous les jours et en toute occasion. De la même manière je doute de pouvoir apprécier chaque seconde de leur existence.
Nathalie, superbe, gourmande, adorable, me rejoint la nuit et part au petit matin rejoindre une autre vie, sa vraie vie.
Elle n’a pas besoin de plus. Et c’est bien comme cela. Bien assez ! Notre affection particulière ne supporte pas la lumière, le jour, le quotidien, la vaisselle, la compromission des brosses à dents dans un même verre, les vêtements, ...
J’ai des amis, aussi, rares, qui soutiennent le comptoir des bars où nous avons des habitudes. Seulement, s’ils s’en éloignent pour réveillonner, par exemple, tout se casse la gueule ! Meubles et immeubles.
Quant à ma famille, ces gens qui m’ont enfanté et connu quand j’étais petit, je préfèrerais cotoyer une bande de nazis furibards que de même les croiser dans la rue.
Mes parents sont insupportables.
Mon père est rancunnier, ma mère est revancharde. Ils se battent tout le temps et lorsqu’ils ne s’écharpent pas entre eux ils adorent tomber à bras raccourcis sur l’un de leurs enfants pour le massacrer. Souvent, c’est moi, le poète, l’écrivaillon, le jenfoutre, ... Mon frère est technico-commercial. Ma soeur a servi de modèle à Folcoche. Mes neveux et nièces, sans que ce ne soit complètement de leur faute, sont d’affreux hurleurs mal dégrossis. Les pauvres sont obligés de voler tout ce dont ils ont besoin ou envie : affection, argent, amour, ...
Les derniers réveillons passés avec eux tous ont tourné en immondes pugilats (pour tout et rien, surtout pour rien) à côté desquels les Guerres Puniques, Crécy, le Chemin des Dames, la reprise de Guadalcanal et la boucherie de Kigali ne sont que d’aimables conversations entre amis courtois.
Je ne fête pas Noël, généralement. Entre la météo défaillante et l’ensemble des horreurs citées ci-dessus, je préfère, dès décembre paru, m’en aller, quitter Paris, la France, le monde, ou presque...
A l’hiver 85-86 je visitais l’Australie, le pays continent, en Jeep, couchant dans le désert, sous la tente, seul, amoureux de la beauté grandiose des paysages, des lieux, de l’absence de situation, du vide sublime. Assis à l’ombre de ma voiture, je passais des jours à regarder vivre le grand rien du désert comme une incroyable révélation.
J’y serais resté une vie, (deux peut-être même !), fondu dans l’immuable éternité, si un convoi rempli de bœufs destinés l’abattoir n’avait écrasé une colonie de kangourous à quelques mètres de moi, sans même ralentir, stoppant simplement net mes velléités érémitiques pour me ramener à la cruelle réalité du monde palpable. Intellectuellement dépité, maigre spirituellement, havre physiquement, je retournais à Sydney le vingt quatre décembre au matin.
A l’orée de la ville, depuis une cabine de station essence, j’appelais mon amie Martine (une québecquoise qui s’occupe admirablement de la diffusion des films français en Océanie et des français qui se font des films entre ses draps antipodiques). Bien entendu, elle pouvait me loger pour quelques jours, bien que son mari soit là, comme ses enfants, pourtant majeurs et rentrés vivre à Montréal.
La maison de Martine était immense, fraîche, accolée à la plage. Malgré cette proximité, je trouvais la famille plongée dans la piscine du jardin.
Je n’avais pas parlé depuis deux semaines. Encore moins le français, j’étais hirsute, dégoutant, dégouté, imprésentable et misanthrope. M’excusant rapidement, je me couchais quelques heures.
A la nuit tombée, Martine m’apporta quelques vêtement moins miteux, un jean large et un coton-ouatté rouge sang au logo antinucléaire, et m’invita à rejoindre quelques amis francophones sur la plage pour célébrer la nativité à la mode australienne.
Merde ! C’est Noël !
Oui, viens, on a plaînté un sahpin dans le sahble. Il y a de la bière et un barre-bee-cue.
Non ! Je ne veux pas vous déranger !
Frînch’ment ça m’dérangerai plus que tu reste ici tout seul.
C’té no way de refuser.
Nous avons mangé, bu, parlé, chanté. Vers minuit, tout le monde s’est déshabillé pour un bain extraordinaire. Puis j’ai dormi sur la plage, à peine enroulé dans une fine couverture en rêvant d’étoiles guirlandées.
Les années suivantes, à Noël, j’escaladais, sans assistance, une andine dans la cordillère, je m’enlisais dans la toundra d’une ouralienne vaste comme deux fois la Place Rouge (elle avait un joli nom, mon guide ...), je survivais à une piqure d’araignée amazonienne quelque part du côté de l’urètre spongieux qui m’appris à ne plus pisser contre un arbre inconnu, je dansais saoul et en pagne à froufrous en compagnie des Mbuti de la forêt d’Ituri,... je goûtais, en somme, aux innombrables délices du monde lorsqu’il n’est pas pourri par la civilisation judéo-chrétienne et le libéralisme économique.
Et puis je travaillais, aussi.
En décembre 99, je couvrais pour un journal l’énième sursaut de l’infinie Intifada, essayant de comprendre, malgré le danger, les pertes, l’emprisonnement et (peut-être aussi) la torture, ce qui pouvait pousser les jeunes Palestiniens à lancer des pierres sur les blindés de Tsahal avec autant de constance.
Mais je m’intéressais aussi à la psychologie des soldats israéliens engagés dans la gestion des troubles. Un nombre non négligeable d’entre eux se révélèrent conscients et un peu honteux du déséquilibre dans le rapport des forces.
Ma voiture filait droit sur la route désertique. Dans quelques heures la nuit tomberait et je me reposerais à l’Holiday Inn de Bethléem après une rude journée.
Soudain, par delà la perpétuelle couche de sable sur le pare-brise, j’aperçus un étrange équipage. Un homme, fort, massif, tirait un âne chevauché d’une femme. Tous paraissaient épuisé.
J’écrasais la pédale de frein et sortis de la voiture.
Bonjour, vous avez besoin d’aide ?
L’homme me répondit que non, mais qu’ils avaient hâte d’arriver en ville.
Ma femme est enceinte et je crois que l’accouchement est pour ce soir.
En les regardant mieux, je constatais l’exentricité de leurs vêtements. Anciens mais pas usés. Comme dans un musée. Sur les flancs de l’âne une caisse en bois laissait entrevoir des outils, maillet, scie, rabot, ...
Je proposais de l’eau et ils burent à petites gorgées. La femme dit :
Il faut qu’on y aille, maintenant, Joseph !
Joseph !
Oui !
Vous vous appelez Joseph ?
Ben oui ! Et là c’est ma femme Marie !
Et vous ... Vous allez à Bethléem parce que votre femme doit accoucher ?
C’est ça ! D’ailleurs il faut que ...
Et vous êtes charpentier ?
Oui !
C’est incroyable !!!
Qu’est-ce qui incroyable mon ami ?
Euh ! Tout ! Tout ça ! nous sommes le 24 décembre, à quelques kilomètres de Bethléem, vous vous appelez Joseph, Marie et un enfant va naître ce soir ... C’est ... Inouï !
Ben, oui ! C’est notre premier enfant ! Beaucoup de joie !
Et ... Dites-moi ! L’enfant, vous allez l’appeler ... Jesus !
L’homme fronça les sourcils.
Ca va pas non ! On est pas Portuguais !!!