Ils sont venus ombres sans âge et sans visage aux gestes durs et sans pitié.
Ils lui ont pris son fils puis sont partis, sans un regard derrière eux.
Elle a pleuré mais n’a rien dit, agenouillée au milieu de chemin.
Elle les a regardés s’en aller espérant que son enfant, la chair de sa chair se tournerait vers elle, pour un ultime regard d’adieu.
Mais le miracle tant attendu n’eut pas lieu, elle ne gardera de lui que ce que ses souvenirs voudront bien lui rendre.
Quand il n’est plus resté de leur passage qu’un nuage de poussière, elle a levé les bras vers le ciel maudissant à jamais celui au nom duquel on enlevait les enfants.
D’autres femmes sont venues, elles l’ont entourée, l’ont relevée et puis doucement, ont essayé de la faire taire mais en vain.
Alors, elle a parlé et parlé et parlé encore pendant des heures, des torrents de mots se sont déversés de sa bouche remplissant le silence. De ses doigts usés par tant de durs travaux, elle tordait le foulard blanc qu’elle avait ôté et mouillé de ses larmes.
Alors ses sœurs d’infortune l’ont écoutée, se sont levées puis ont marché à ses côtés pour faire taire ce monde de violence, pour sauver leurs fils et leurs maris, pour montrer à la terre entière que les femmes de ce pays étaient fortes et unies.
Elles ont marché silencieuses portant autour du cou un foulard blanc, couleur de l’innocence de ceux qu’on leur avait pris, vers la Plaza de Mayo.