Intro :
Loulou est une de ces personnes rares que l’on rencontre dans sa vie... Une de celles qui, d’un clin d’œil, donnent envie de s’arrêter de courir, s’asseoir sur le trottoir, partager des confidences, cesser de vouloir avoir raison, de tout vouloir comprendre, refuser les « oui-mais »,..., se laisser porter et qu’importe où on va, si on y va ensemble...
Loulou est une amie-amour (ou vice-versa ?), une jeune femme qui aurait pu changer ma vie, nos vies puisque ces sentiments sont partagés.. Nous avons décidé de ne pas céder à la tentation pour ne jamais risquer perdre le plus important : cette formidable tendresse qui nous rapproche. Un jeu subtil de funambules sur un fil ténu et fragile, une émotion tendue à craquer, un moment unique, magique, réservé aux initiés, entre l’amour et l’amitié... la connivence et la complicité à l’état pur, comme un ’dessert/trésor’ à consommer sans compter et qu’il nous importe tant de protéger..
Mais revenons au courrier :
LouLou, je me suis réveillé ce matin avec une drôle (enfin si l’on peut dire) de blessure au cœur, un souvenir comme un relent doux et douloureux à la fois, je tiens à le partager avec toi..
Bujumbura, 15 juillet dix-neuf cent cinquante-neuf...
Les lampions se sont éteints, les lauriers distribués.
Notre vielle école ferme définitivement ses portes : elle emménage déjà ses meubles dans les nouvelles installations, on devrait s’en réjouir... mais celle-ci n’a pas encore d’âme...
Que deviendront les bancs gravés de caricatures ou, pire, de serments d’amours adolescents ?
Que deviendront les souvenirs de ces enfants que l’on respire encore dans l’air ?
Mon père m’emmène, le pied un peu lourd, traîner sa mélancolie en bordure du boulevard.
Il est plus de six heures et le soleil ponceau se noie dans l’eau des vitres de ce qui fût son école.
Il fait calme, l’arbre du voyageur qui s’élève devant l’entrée principale n’agite plus ses palmes. Il sait qu’il n’aura plus personne à accueillir alors il exprime à sa manière sa désapprobation.
Mon père soliloque : « je l’ai vu planter, cet arbre, je l’ai vu grandir.. »
Nous passons une dernière fois la petite porte rouge : « le jardin manque d’eau... tiens ! »
Le paspalum a été piétiné du côté de la salle de dessin ... il peste contre « ces gosses qui, décidément, ne respectent rien ! »
Je n’ai jamais plus surpris un tel silence dans une école.
On n’entend pas un bruit, pas un souffle, pas même le clapotis des lames de fond du spleen, pourtant perceptible, de mon père...
J’avais 5 ans, j’ai gardé peu de souvenirs de cette année là. Pourquoi celui-là ?
Est-ce l’anniversaire du décès de mon père qui me ramène si loin en arrière, dans cette balade aux accents de procession funèbre ?
La vie n’est pas simple, Loulou.
Ton silence non plus...
Bien sur je connais tes obligations, j’ai les mêmes... sauf qu’elles sont différentes toi tu « joues »(*), moi je roule ma bosse encore et encore... bosser toujours...
(* ma ‘loulou’ est actrice)
Alors que veux-tu, je me réfugie dans un autre vagabondage du cœur et de l’esprit, dans un autre jardin, un jardin d’enfant bien entendu, plus précisément celui de mon enfance, à ‘Buja’ comme on disait en ce temps là, Bujumbura...
Au delà de la nostalgie fort mal venue de la formule « en ce temps là », il y a la magie du nom, des noms devrais-je dire : Zanzibar, Tananarive, le lac Tanganyka, N’djamena, Ouagadougou dis-donc-loulou...
Certains c’est l’Asie ou les Amériques, moi c’est « mon » Afrique
Mais bon, revenons au jardin,
au delà des buissons de bougainvilliers et de flamboyants, il y a les mille collines qui bruissent et tremblent dans la chaleur, il y a une hutte gardée par une grappe de chèvres et un baobab. On l’imagine millénaire, il a tout vu, du moins le dit-on, tout entendu, du moins le dit-il, et il ne s’en lasse pas... A la tombée de la nuit, il semble se pencher indiscrètement sur les secrets murmurés par les vieux Watutsis, fasciné par leurs palabres infinies, c’est l’heure où l’on règle les litiges pour trois rangs de manioc, celle des légendes confiées aux enfants, qui à leur tour les raconteront à leurs enfants, qui à leur tour...... mais c’est pour plus tard..., l’heure est à la magie que l’on crée et que l’on partage...
Au delà des collines noyées dans toutes les nuances inimaginables de vert, il n’y a plus rien, enfin, si l’on veut, puisque c’est précisément là, dans ce rien, que commence le monde... « mon monde »
A l’ombre rougissante d’un hibiscus, il y a un vieux varan qui nous regarde aussi indifférent que s’il faisait partie de la famille... depuis le temps qu’il est là, à faire peur au Zamou (la sentinelle), immobile à part les yeux et la bouche qui mâchouille sans réel appétit un criquet imprudent.
Pendant le dîner, le soleil trébuche soudainement derrière les collines, il se donne en spectacle et se sacrifie de rouges, de roses et d’oranges qui ont tôt fait de faire pâlir de jalousie les bougainvilliers et autres flamboyants domestiqués.
« Bientôt l’heure d’aller au lit » dit ma mère...
Au delà de la résistance que tout enfant bien conditionné se doit de montrer à ses parents, une impatience sourd en moi, j’aspire à l’aube brumeuse, pressé d’ouvrir la fenêtre sur les manguiers, la brousse, les collines... profiter de ce moment unique où, seul face à la ‘création’ de « mon monde » (les couleurs semblent alors émerger les unes après les autres), j’ai l’impression de me couler en lui, de lui appartenir, d’appartenir à cette terre et son silence...
Un moment incroyable et fugace, comme il se doit, c’est précisément cette « éphémérité » qui le rend magique et qui procure ce sentiment de plénitude lorsque tu te fonds littéralement dans cette nature sauvage et si tendre à la fois...
Loulou, c’est ce moment là, cette minute précise, qui ne dure pas, que je voudrais te faire découvrir... pour que nous puissions enfin goûter à l’infini...
F.
P.S.1 : Légende Africaine (rapportée par D.Desorgher, dans le vol. 8 de Jimmy Tousseul) :
Dieu, qui venait de terminer le monde, voulu y mettre les hommes. Pour commencer, il désirait faire un cadeau à chacun d’eux. Il leur demande d’y réfléchir et de revenir le lendemain. L’homme noir avait fait la fête toute la nuit et se présenta avant d’aller dormir : « je voudrais un bel endroit où vivre heureux, avec beaucoup de fruits à manger et une bonne chaleur ». Dieu lui répondit qu’il avait justement créé un continent merveilleux et lui donna l’Afrique.
L’homme blanc qui s’était levé tôt arriva. « Tu sais que j’ai déjà donné l’Afrique au noir, que veux-tu toi ? » Le blanc répondit : « moi je veux le savoir » et Dieu sourit : « prend tout ce que tu veux dans la bibliothèque du paradis, les livres sont à toi ».
Arrive enfin l’homme jaune, qui avait, par politesse, laissé passer les deux autres avant lui. Il demanda à recevoir la sagesse. Dieu fit apparaître un disque portant un dessin. L’homme jaune le prit et partit méditer sur le yin et le yang.
Dieu pensa en avoir terminé quand le blanc revint en courant : Dieu, dit-il, j’ai déjà beaucoup lu, je pense avoir compris.. je t’en prie, accordes-moi une dernière chose...
« Donnes-moi l’adresse du noir... »
Dieu commit-il une erreur ? question impénétrable.. ;-D)
P.S. II : Au temps des colonies...
On se fait beaucoup d’idées sur « les colonies », bien entendu, personne ne peut nier les abus, et certaines horreurs, personne ! Mais d’autres « colons » se sont battus pour préparer le pays à l’indépendance.. Mais bon, c’est une autre histoire... (une histoire de grandes personnes complexe à souhait et il faut que je replonge dans les cahiers de mon père, qui fût l’un deux, pour être certain de respecter la vérité historique).