Lorsque j’étais petite, à six ou sept ans je crois, j’ai écrit ma première histoire, c’était important. La maîtresse, Mme Per... quelque chose (Maryse, elle s’appelait Maryse)... Elle avait commandé des livres aux pages vierges... mon premier roman... déjà mon rêve à l’époque ! « Vos livres seront placés dans la bibliothèque de l’école » Le Trac, je me souviens du trac... vingt-cinq élèves ! mon histoire devait être la meilleure ! Ca n’a pas du être le cas...je m’en souviendrais.
"Il était une fois un monstre. Le Monstre des Placards. Il dormait dans chaque placard de chaque maison de chaque pays... personne ne pouvait le voir, à part les enfants bien sûr !
Il se nourrissait des souvenirs, des histoires, des mensonges et des rêves de tout le monde. Il avait oublié ses histoires et ses rêves à lui, mais il se souvenait de tous les mots qu’il avait mangé au cours de sa vie de monstre...
Ce n’était pas un monstre bleu, difforme et moche avec plein d’yeux, ou tout vert et poilu avec de la bave dans les oreilles...C’était un très beau monstre, plein d’ombre et de lumière, comme le cagibi éclairé à la bougie quand maman n’avait pas pu payer le monsieur de l’électricité...
Donc, les enfants pouvaient le voir, et son jeu préféré, c’était de leur faire peur... il oubliait toujours que c’était son jeu favori alors il recommençait tout le temps et s’amusait pareil à chaque fois... mais les enfants eux, ils grandissent, ils se souviennent et puis un jour, ils n’ont plus peur, ils se disent que le monstre n’a jamais existé et ils l’oublient... ils l’oublient presque tous !
Quand tous les enfants sont grands dans une maison, le monstre se met à croire qu’il n’existe vraiment plus, pourtant il continue à manger goulûment les rêves et les souvenirs et les blagues et les colères et aussi les peurs... mais comme il ne joue plus jamais, un jour il meurt.
Moi, je me souviens de lui, je lui ai parlé au Monstre des Placards, celui qui était dans la commode de ma chambre... j’était toute seule et il m’a fait peur, j’ai voulu courir chercher maman mais j’avais si peur, je ne pouvais pas bouger, alors je lui ai parler, d’abord pour qu’il s’en aille puis simplement parce que je m’ennuyais et que j’avais envie de parler. Finalement je lui ai demandé un histoire... c’était l’heure de dormir, maman était avec ses amis dans le jardin, je voulais une histoire. Il m’a répondu qu’il ne savait pas raconter les histoires et que de toutes façon il ne pouvais pas parce qu’il n’était pas humain et qu’il ne savait pas qui il était...
« - Si je te dis qui tu es, tu me raconteras une histoire ?
Un prénom, tu peux me donner un prénom ? si j’avais un prénom, je me souviendrais peut-être... et je te raconterai une histoire, Promis !
Très bien, alors, tu es le Monstre des placards et tu t’appelle... euh Gamisse !
Gamisse ! je m’appelle Gamisse ! je suis Gamisse le Monstre des Placards !
Il a sourit. Je l’ai vu, même s’il n’avait pas de bouche pour le faire, je sais qu’il a sourit, il était très content et puis il a disparut... il est entré dans ma bouche quand j’ai fermé les yeux, il s’est lové dans mon ventre !
Depuis, il m’a raconté presque un milliards d’histoires..."
« - Tu vois ma fille, par moments je ne me souviens pas de l’existence de tes enfants, ou de mon adresse ou encore de mon mari... mais cette histoire, que j’ai écrit lorsque j’était enfant, je m’en souviens et je ne l’ai pas inventé, je l’ai vécu, Gamisse existe, il est toujours lové dans mon ventre et chaque jour il me raconte des tas d’histoires à la fois... Laisses moi donc les raconter et les écrire à ma guise... Ne parles plus jamais de lubie sénile ! c’est offensant !
Excuses moi maman, je me suis énervé, mais...
J’emmerde Alzheimer et j’aime Gamisse... Bientôt ma fille, je ne me souviendrait plus de rien...et Alzheimer n’y est pour rien ! Gamisse les a tous dévorés... Pour le libérer j’aurais du raconter ses histoires mais elles me paraissaient si embrouillées et farfelues que je n’osais les conter à d’autres de peur de passer pour folle.
Maman, c’est du délire, Alzheimer est une maladie qui atteint la mémoire ; chez toi ça a tout fait déraillé !
Amandine, regardes comme ce gamin là, il aime les histoires de Gamisse !
Maman, c’est ton petit fils, Gérald, mon fils...
Peu importe, il aime ses histoires.
Tu es folle !
Penses ce que tu veux ! Gamisse existe et il ne reste que lui, il ne reste en moi que ses contes... Si tu savais comme les ombres et les lueurs d’une bougie me font sourire...