Je sens le vent fouetter mon visage, oui, enfin ! Mes joues rosissent... Je sens l’air prendre ma main doucement, la soulever et me guider sur le chemin. Je n’ai plus envie de regarder derrière.
Loin de cette prison de fer, loin de ces barres d’acier que j’ai pu trop longtemps regarder et haïr. Tout est fini, j’ai atteint le but dont je rêvais chaque nuit. Rêves emplis de la chaleur d’un soir d’été, des couleurs vives des feuilles en automne, de la saveur d’une mandarine qui dégouline, du chant perçant des oiseaux, je respire enfin les odeurs, je retrouve enfin la vie !
Maintenant que vais-je faire ? Je n’en sais rien. Tout était si bien là-bas, on me nourrissait, je dormais quand je le voulais, j’avais des amis... Je dois cesser de regretter !
Désormais j’y suis, là, dans mon paradis !
Evidemment, j’ai rien à faire, bien sûr, j’ai tout perdu. Je vagabonde dans les rues, on me regarde comme si j’étais un déterré, personne ne me reconnaît. Qui m’a vraiment connu, d’ailleurs ?
C’était il y a si longtemps... Dix ans ! Ma femme m’a quitté, moi qui pensait que ce serait simple de continuer ma vie. Un soir, avec mon fils, c’était unique. Ma colère m’a surpassé, pourquoi bon Dieu a-t-il joué avec cette horloge ?! Ce n’était pas le bon soir, mon amour, je venais de me disputer avec ta mère... Elle nous a laissé seuls, tout ce que j’ai fait, c’est appuyer le couteau, l’enfoncer, te voir hurler, crier le nom de ta maman, appeler à l’aide, mais moi j’t’ai fait taire à tout jamais.
Qu’est-ce qui me prend, j’suis pas une mauviette, c’est quoi ce liquide qui vient à mes yeux ?! Je pleure sur le passé, mais c’est trop tard.
Tout est brisé. J’ai changé, ma femme ne me reconnaitrait plus. D’ailleurs elle est protégée, j’peux plus l’approcher tout court.
A quoi bon l’approcher d’ailleurs...
Je n’ai plus goût à la tendresse, on m’a forgé comme un soldat de béton et désormais j’ai plus de sentiments. Rien qu’un goût amer à la bouche, ça s’appelle la nostalgie.
C’est normal, disent les psychologues, dans mon cas. J’avance dans la rue, j’arrive en face de ma maison. Je sonne à la porte, un enfant vient m’ouvrir. Une mère accoure, assez étonnée, et éloigne son gosse de la porte. J’dois pas être joli à voir, un gros baraqué en sueur... Je lui explique tout, mais elle ne comprend pas, elle me rejette, elle fait non de la tête. J’essaie de ne pas m’énerver, je lui demande de m’écouter... Elle ne m’écoute pas...
Ensuite, son mari vient, je lève la main, je l’abats sur ma jambe, j’ai trop peur de les blesser... Elle appelle la police. Ca y est. C’est une mythomane, à l’écouter...
Adieu mandarine dégoulinante, adieu sifflements des oiseaux adieu les soirs d’été, adieu... J’replonge, j’ai rien fait pourtant, loi maudite, loi maudite !
J’ai replongé dans le trou noir...
Merde.