Michel laisse ses pensées dériver au fil du courant. Plutôt que de passer sa nuit à ruminer son insomnie à côté de Mémène qui ronfle, il a préféré sortir, il est venu marcher sur les quais. Regard morne, une vague envie de se jeter à l’eau pour en finir, il ne supporte plus ce dédoublement de personnalité qui l’accable d’une vie de smicard déglingué qui n’est pas la sienne Un dégoût de la vie dans lequel, pour une fois, il rejoint l’autre dans la peau duquel il vit. Il regarde sans le voir un gros paquet flottant qui vient s’immobilier dans les chaînes d’une péniche retenue à quai, là, à ses pieds, juste au bas des marches. Vraiment gros, le paquet, on dirait un ballot de tissu mal ficelé. Il faut un bout de temps à Michel pour que son cerveau lui dise qu’il a vu des mains, et des cheveux.
« Merde, un macchabée ». Michel le prolo est soudain saisi d’une grande excitation. Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, il n’y a personne pour le regarder. Il descend les quelques marches, se penche, tire par un morceau de manche. Et puis il tâte sous l’eau, glisse la main dans l’ouverture de la veste. Son visage se fend d’un sourire fugace, et un portefeuille passe en un clin d’œil dans la poche de sa propre veste. Pendant qu’il y est, il débarrasse aussi le corps de la montre bracelet et de 2 ou 3 autres trucs ramassés dans les poches. Un coup de pied, le corps se détache de la chaîne et repart dans le courant.
Alors, d’une démarche qu’il veut nonchalante, il se dirige en sifflotant vers le lampadaire le plus proche. L’autre, le politicard, semble avoir temporairement abandonné la partie, il se tait et assiste en spectateur. Michel plonge la main dans sa poche et en ressort d’abord la montre, qu’il examine avec des yeux émerveillés. Elle est noire, on la croirait en céramique, eh, c’est une Chanel ! Il se la passe au poignet, la fait miroiter à la lumière du lampadaire avec un plaisir enfantin, un enchantement qu’il n’a pas connu depuis longtemps. Hop, la montre disparaît sous la manche. La voix de l’autre vient de tousser, mais il ne l’entend pas. Etonnant, n’est-ce pas, les 2 cohabitent dans le même corps mais sans jamais se rencontrer.
Il y a quoi encore dans la poche ? Un téléphone portable, aucun intérêt, il a dû prendre l’eau, il est foutu. Michel s’apprête à le jeter à l’eau puis au dernier moment se retient. Qui sait ça pourrait faire plaisir à Mémène. Une clé. C’est amusant, ça, une clé toute seule. C’est une clé qui respire l’argent, ça lui donne envie de la sentir alors il la sent, mais elle ne sent rien Curieux, quand même, ces petites encoches dans l’épaisseur du métal. Michel imagine quelque coffre privé dans les sous-sols cadenassés d’une grande banque, les portes blindées. La voix de l’autre hoquète, mais Michel ne l’entend pas. Elle est tout excitée, cependant, elle trépigne des oui, oui. La clé retourne dans la poche.
Il reste encore le portefeuille, qu’il a gardé pour la fin. Putain, il est bourré de bifetons, y en a au moins pour une patate. Hop, les billets atterrissent au fond de sa poche. Il y a aussi plusieurs cartes bancaires mais Michel est méfiant, trop compliqué pour lui, pas envie de finir en tôle. Il s’apprête à jeter le portefeuille à l’eau, mais quelque chose le retient. S’il entendait la voix de l’autre, il saurait qu’elle hurle, qu’elle s’agite, qu’elle suffoque, qu’elle implore. Ah, tiens, c’est rigolo, il y a une carte qui n’est pas comme les autres. Elle est barrée de bleu blanc rouge, c’est marqué Assemblée Nationale. Il regarde le nom : Michel B. Tiens, c’est curieux, le type qui passait hier soir chez Mireille Dumas s’appelait comme ça aussi.
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Ma pauvre tête. 3
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Chapitre 3
Où le lecteur se perd plus que jamais, quelque part sur un quai de la Seine.