Il a beau être un raté de la vie, Michel, il est pas idiot, d’ailleurs les conversations avec ses potes, chez Marcel, lui donnent assez souvent l’occasion de se sentir mis en valeur. Ce soir, il est carrément le roi. Il n’a pas pu s’empêcher de payer la tournée. Seulement voilà, il n’est absolument pas question de raconter aux copains quoi que ce soit de sa trouvaille de la nuit. Il est en train d’apprendre à mentir. Avant, d’accord, il brodait, mais là, c’est autre chose, il se sent rempli d’une force de persuasion étonnante, les autres gobent ses paroles, arrondissent des yeux en ÔÔ majuscules.
Il serait peut-être temps, cher lecteur, que je vous ramène quelques instants sur la piste de l’homme politique. Du coup de feu qui l’a refroidi, et du plongeon dans les eaux glauques de la Seine, il ne garde pas une impression bien précise, d’ailleurs, c’était l’autre qui était aux commandes. Lui, il devait dormir chez Mémène, dans le corps de l’autre qui n’arrivait pas à dormir. Il a commencé à se réveiller à la vue de la montre, comme un souvenir qui voulait lui dire quelque chose. La clé ? Là, oui, les choses ont commencé à se remettre en place, exactement comme dans la serrure les butées sur ressort viennent se loger dans les alvéoles et les encoches de la clé. Il y a alors une porte qui s’est ouverte chez Michel B, et la vérité toute nue, la vérité implacable lui est apparue avec l’inventaire du portefeuille.
Notez qu’il n’est pas idiot non plus, Michel B, il n’aurait jamais sinon engagé la brillante carrière politique que l’on sait. Avec le pragmatisme du politicien roué, il a compris en une fraction de seconde qu’il devait consentir à poursuivre son squat du corps-esprit de l’autre s’il voulait survivre, puisque le sien avait manifestement été réduit à néant. Et il voulait survivre. Oublions donc désormais Michel B et suivons tout simplement Michel, avec le regard éclairé de celui qui sait.
Michel est donc rentré chez lui avant l’aube, silencieux comme un chat. Il a caché son butin dans le coffret électrique du placard de l’entrée et s’est couché dans le lit conjugal. Et puis il a décidé de ne rien décider dans l’urgence. Il s’est donc levé avec le réveil, est allé faire comme d’habitude sa journée à la maintenance des voies à la RATP. Maintenant, il a conscience qu’il y a quelque chose de grand à gérer dans sa vie. Alors avec la tournée de blanc de 16heures, il est enchanté, les yeux pétillants des copains, c’est merveilleux, mais il sent cependant confusément une impulsion, un appel à être ailleurs, là, tout de suite, et il s’éclipse de chez Marcel beaucoup plus vite que d’habitude.
Sur le trottoir, Michel marche sans trop savoir pourquoi. Il regarde les boutiques, il se dit qu’il a de l’argent. Il croise un salon de coiffure, les photos lui renvoient à la mémoire sa Mémène hier soir en bigoudis. La boutique suivante est une boutique Chanel, Michel repense à la montre. Non, quand même, Mémène en Chanel ! Mais une idée vient de germer qui le pousse quelques rues plus loin vers des magasins de confections un peu moins chics qui ne l’effraieront pas. Se faire des alliés de vos copains de bistrot, quoi de plus simple, mais se faire un allié de sa femme ! Michel ne saurait se l’expliquer, mais il sent que ce combat-là va être facile à gagner, d’ailleurs il se sent d’humeur à gagner toutes sortes de combats. Il n’a plus du tout mal à la tête.
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Ma pauvre tête. 4
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Epilogue
Où l’on évitera au lecteur un fastidieux et improbable cours de patapsychologie.