Tu te sens comme en équilibre. Pas en équilibre stable, celui qu’éprouvent les gens rationnels, sains, non, mais en équilibre vacillant, hésitant, mortel. Tu es sur le rocher qu’entoure le gouffre, sur la pointe des pieds, et le vent hurle à tes côtés qu’il te faut tomber.
Tomber ! Tomber c’est choisir, voilà ce que tu te dis. Là, sur ton rocher, tendue de toutes tes forces, tu sais que tout est encore possible, tout est encore réalité, tout est encore à portée de main. Mais pour réaliser, il faut saisir, pour saisir il faut choisir, pour choisir il faut décider et pour décider il faut tomber.
Tu n’as pas peur. Enfin, si, un peu tout de même ; tu es là entre ses bras, à tournoyer lentement sur la piste presque déserte, aux lumières tamisées, et pourtant tu sens sous tes pieds nus le rocher qui s’effrite. A chaque fois que son corps te guide un peu plus, tu entends le vent hurler plus fort, à chaque fois que ses pas s’emboitent entre les tiens, tu perds un peu plus le fil de ton équilibre ; mais tu n’arrives pas à te décider à enfin tomber.
Et pourtant la danse se poursuit, et pourtant la beauté de la musique t’emplit, te rend femme, te fait ange, inonde ton âme jusqu’à te noyer, et tu voudrais que jamais ce moment ne disparaisse, que le rocher s’effrite à l’infini, que la chaleur de son corps ne s’estompe qu’à la fin de tous les temps ; et rester là, quelque part entre l’équilibre et la chute, le vent et l’océan, la vie et la mort, l’amour et la peur. Figée.
Parce que c’est là que s’esquisse l’éternité.