Il est là devant moi, perché sur un truc qui pourrait être un rocher déguisé en nuage, ou en postiche de Père Noël. Il me tend la main droite.
- Bonjour, sois le bienvenu.
- Tu en es sûr ?
- Euh ! Oui, pourquoi ?
- Et bien, jusqu’à preuve du contraire, je ne crois pas en toi.
- Hé ! Je suis pourtant là. Vois, prends ma main.
Je le regarde. Pas de doute, c’est bien Dieu. Enfin, je pense. Et puis je regarde aussi autour de moi. Je me trouve comme suspendu, à flotter sans air et sans mouvement dans un fluide doux qui n’est ni de l’eau ni de l’huile mais pas du ciel non plus. Au dessous, rien. Rien que la terre, très bas, en tout petit. Je remarque des insectes qui bougent, des avions, des gens ?
- Po, po, po, po, po, po, je lui dis.
- Quoi ?
- Qu’est-ce qui me dit que ce n’est pas un piège. Que tu n’es pas, ... je ne sais pas moi, ... Satan déguisé par exemple, qu’est-ce qui me le dit, que tu ne veux pas me nuire. Là, je flotte, je suis en équilibre, tout va bien. Mais si je bouge ...
- Bouge donc.
- ... et que je tombe et que je me tue ?
- Tu es déjà mort.
- Ah !
- Oui, tu es mort. Il y a à peu près cinq minutes, tu as fait un arrêt cardiaque. Dans ton lit si ça peut te rassurer.
- Bof !
- Dans ce lit où tu as fait tellement de trucs, n’est-ce pas ? Tu pouvais bien y mourir aussi, non ?
- Ouais. C’est pas faux.
- Prends ma main.
J’hésite encore. Parce que s’il n’est qu’un mirage, la mort est un vaste désert, infini, je vais ... me casser quelque chose, et avoir mal, au moins. Qu’est-ce donc que je dois faire ? Allez, je bouge. Je saute vers lui, je perds l’équilibre et me rattrape à sa pogne.
- Là, tu vois, c’est bien, me dit-il en me tenant fermement. Tu crois en moi maintenant ?
- Euh ! Je crois en ta paluche, déjà.
- C’est un début.
- Il faut bien commencer par quelque chose, non ?
- Hum, hum !
Alors il se met à marcher et je suis obligé de le suivre. J’ai le vertige, mais je regarde devant. Il me conduit dans une sorte de couloir gris perle et mauve doux, éclairé de lucioles et de lampions moches de quatorze juillet. Des machins avec des ailes, anges, papillons ou corbeaux, nous escortent en portant des flambeaux malicieux. Ce que je vois bien, c’est que la terre, ma terre, avec ses mers et ses montagnes, avec ses gens, ces vrais gens que j’aime et ai aimé, s’éloigne.
- Hé ! Où tu m’emmènes ?
- Chez Saint-Pierre. C’est le passage obligé, comme la douane.
- Et je dois croire en lui aussi ?
- C’est dans le package. Tu crois en moi ...
- En ta main seulement, si elle ne me lâche pas !
- ...tu crois en lui. C’est comme ça. Pas de demie-mesure.
- - Vous êtes vachement gonflés les mecs. Pire que des vendeurs de cuisines. Tu prends le meuble, il est pas cher, mais faut prendre le pêle-légume avec, sinon ...
- Si tu le dis mon fils !
Nous traversons des limbes magnifiques peuplés de petits enfants non baptisés. Je le suis. Mais on ne m’a pas demandé mon avis. Et puis nous arrivons, après un long voyage, près d’une petite cabane qui fait un peu chiottes au fond du jardin, mais peinte en blanc, et sans odeur. Peut-être, néanmoins quelques relents de ... soufre. Mais à peine alors.
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Dieu appelle :
- Pierre. Pierre.
Pierre répond :
- Oui Père ! et Pierre apparaît.
- Viens, mon Grand, saluer notre bon visiteur.
Pierre vient à moi. Il a une tête de charpentier hippie avec des cheveux blancs. Il me serre vigoureusement la louche.
- Salut à toi. Sois le bienvenu.
- Euh ! J’ai pas demandé à venir...
- Je sais, je sais. Ce n’est pas grave.
- Ouais, enfin, y’a quand même eu mort d’homme !
- C’est vrai.
Pierre est un grand costaud, Dieu l’embrasse et Pierre fond. Puis Dieu m’embrasse en me brûlant les joues de sa barbe horriblement rêche parce qu’antédiluvienne. Il me confie aux bons soins du jeune type.
- Viens, me dit-il joyeusement, c’est par là que ça se passe.
Et nous entrons dans son abri côtier qui est à l’intérieur grand comme deux Taj Mahal et décoré à la perse et police. Je ne m’en étonne même pas. A ce moment du jeu, Pierre pourrait me présenter un caneton parlant nommé Saturnin ou Janis Joplin en short nylon que je n’en serai pas plus baba. La pièce est un vrai souk.
- Excuses moi, le désordre. Tu sais, je suis un oriental, me dit Pierre.
- Mais Rome.
- Un exil.
- Ah ! Enfin, t’inquiètes pas, je suis moi même un peu bordélique.
- Je sais, je sais, je sais. Je sais tout.
- Ca doit être un peu lourd, non ?
- Quoi ?
- De tout connaître sur tout le monde.
- Bof ! Allons, mon frère, asseyons nous et parlons de toi.
Et nous causons des heures, des jours, des mois. On s’en fout, on a le temps.
Il a devant lui comme un écran de télé où chaque parcelle de seconde de ma vie est inscrite et défile à grande vitesse. D’un doigt en l’air il stoppe quelques fois le système et me pose telle ou telle question sur tel ou tel sujet. Il ne me juge pas. Il veut des explications. Il me demande ce que j’en pense. Souvent, je réponds :
- Je ne sais pas, c’est comme ça, c’est tout.
Et comme il semble se satisfaire de cette réponse et que moi j’ai trouvé mon truc, je recommence, encore et encore.
Ce qui m’apparaît le plus étrange, et le plus stupide, c’est que je n’ai ni faim ni soif.
Humain, quand je parlais, j’avais vite la langue sèche et le gosier râpeux réclamant vite son dû. Un truc comme de l’alcool ou un verre de Chablis. Là, rien ! Bon !
Par un beau jour de mai, la revue de détail prend enfin fin. Pierre, après tout cela semble content de moi. Il me parle d’honnêteté, de grandeur d’âme et, même, de félicité, de vie, de bonheur, tout cela éternellement éternel.
Pierre appelle.
- Dieu. Di-eu !
Dieu répond :
- Oui Pierre ? en passant la tête par l’ouverture de la porte ouverte.
- Il est prêt.
Et Dieu entre, tout poussiéreux.
- Ca va bien les enfants ?
- Oui Père, dit Pierre.
Moi je me contente d’un
- Ouais, ouais !
Alors, ils causent de moi. Tout haut bien souvent, et Pierre m’encense.
Mais ils font aussi des messes basses, barbe fournie s’emmêlant aux cheveux touffus.
Des fois ils sourient tous les deux.
D’autres, Dieu fronce un peu les sourcils, mais pas très longtemps. Alors je patiente en buvant du Coca qui coule à une fontaine et je caresse une chèvre qui me demande de lui dessiner un bouc.
- Dis, dessines-moi un bouc !
- Ben pourquoi ?
- On ne sait jamais !!!
Après quelques semaines, Dieu s’approche enfin et me dit :
- Voilà, voilà, voilà ! Tout va bien mon fils. Cependant ...
- Quoi ?
- J’ai avec toi un petit souci. Oh ! Trois fois rien !
- Euh là ! je la reconnais cette phrase.
- Ah !
- La dernière fois que je l’ai entendue, j’ai perdu mon boulot chez Casto, y’a tout c’qui faut faut.
- Euh !
Dieu semble perplexe. Il se gratte les divins poils de son menton sacré.
- Et bien là, c’est un peu pareil.
- Merde, putain ! putain de merde !
C’est sorti tout seul. Les grandes phrases sortent au bon moment, comme au vaudeville.
Pierre passe son bras puissant sur mes épaules malingres et susurre :
- On ne jure pas devant Dieu !
- Pardon.
- Je disais, dit Dieu, que j’ai avec toi un souci, d’ordre éthique.
- Ben voyons !
- Tu es un bon garçon, mon fils.
- C’est vrai.
- Tu n’as jamais volontairement fait souffrir qui que ce soit.
- C’est vrai aussi.
- Tu as toujours respecté les autres, leur vie, leurs pensées, leur liberté, leurs croyances...
- Oh que oui ! toujours, grand Dieu, toujours.
- Parfois, parfois ! Reste raisonnable ! En bref, continue-t-il, tu es un candidat les plus sérieux pour le paradis.
J’explose comme pour un but du PSG, objet rare donc précieux.
- Whouais ... !
- Mais !
- ... !
- Mais, comme tu ne crois pas en moi, comment peux-tu croire au Paradis ?
- Euh !
- Réfléchis.
Je me creuse la cervelle. Oui, comment ?
- C’est pas faux ce que vous dites là.
- Eh non !
- Ah ! putain, ça fait chier !
Pierre fronce les sourcils et resserre son étreinte punitive.
- Ah oui ! Pardon ! Ah ! quel dommage !
- Donc, voilà ce que nous allons faire...
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Et c’est comme ça que je reviens sur terre.
Nouvelle chance. Je me retrouve dans un endroit noir, sombre, chaud, gluant. Au fond, une lumière. Des sons ? Des sons glauques, des bips et des crashs.
Je sais plein de trucs sur la vie et sur tout.
J’ai parlé à Dieu tout de même ! Hé oui ! C’est pas rien !
Pierre a eu beau dire que je vais tout oublier dans quelques jours, je me sens super fort ! Un kador !
Ca y est, je sais, je suis dans un ventre.
Un ventre de femme. Hummmm !
Mais ... Mais j’en sors.
On me tire. Avec force.
J’entends vaguement :
- Respirez, allez, allez, allez, poussez ...
Non ! Je veux rester !
J’ai toujours aimé le ventre des femmes. Toute une vie à tenter de les explorer, le plus grand nombre possible.
La pression se fait trop forte.
Je glisse, inexorablement.
On m’attrape le crâne. Qu’est ce que je fais avec le crâne ici ?
On me tourne d’un quart. Mes épaules passent.
Vite ! Vite ! Je crois bien que j’étouffe.
J’ai froid. J’ai froid. J’ai faim ! Au secours ! Aidez-moi !
Je passe de mains en mains, des douzaines, et j’atterris enfin sur un sein.
Un beau sein tout rond. Un sein génial. Un sein de compétition.
- Comment vous allez l’appeler, dit une voix de vieille femme.
- Coralie.
Hé ! C’est de moi que l’on parle ?
Coralie ? Coralie ? Hé ! Mais ! C’est un nom de fille ça ?
Oh, putain ! Non ! Pas une fille...
En grand désespoir j’appelle Pierre :
- Pierre, Pierre
- Oui Coralie.
- Je suis une fille ?
- Oui !
- Vous m’avez fait une blague ?
- Non.
- Mais merde, Pierre, je n’aime pas les mecs. Encore moins les lesbiennes, comment est-ce que je vais faire ?
- Tu sera nonne ma fille !
- Aaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhh !
Je pousse mon premier cri.