MIROIR, DIS-MOI QUE JE SUIS LA PLUS BELLE
Marion s’étira et resta allongée quelques instants. Mille pensées se croisaient dans son esprit. Elle pensait à ses occupations présentes, à ses amants du jour. D’un pas fébrile, elle se dirigea vers la salle de bains ou du moins vers le petite pièce qui faisait office de salle de bains, car elle habitait un tout petit studio. Elle se regarda longtemps dans la glace mais rien ne se produisit. D’habitude, un rayon d’optimisme traversait le miroir, ce qui avait pour résultat de la rendre sûre d’elle et surtout augmentait son anxiété de plaire. Oui plaire à tout prix, pour que les hommes n’aient rien à redire, pour elle aussi car elle n’existait qu’à travers ces exigences. Elle ne concevait pas cela comme une devise, car la complexité des mots ne l’intéressait pas, c’était en elle voilà tout !
Ce matin, elle se trouvait plutôt pâlotte mais elle allait arranger cela. Il était 8h45 et pourtant la seule pensée de se présenter au bureau avec cette figure était insupportable pour Marion. Donc elle n’eut aucun scrupule à prendre tout son temps, car pour elle c’est de cette façon qu’on réussissait son esthétique. Elle se doucha en savonnant chaque partie de son corps, se rinça abondamment puis se sécha lentement. Ensuite, elle s’attaqua aux soins du visage, sa peau fragile réclamait une attention particulière. Son maquillage était léger, nature mais dura le temps qu’il fallut. Son physique était ce qu’elle avait de plus cher. Elle le savait parce qu’on le lui disait mais aussi parce qu’elle vivait avec cette idée depuis toujours et nul être n’aurait pu la métamorphoser. Tout le reste était que de la bagatelle ! Elle ne s’intéressait à rien, elle ne lisait jamais mais faisait preuve de beaucoup d’imagination en parlant d’auteurs dont l’existence même lui échappait. Non elle ne s’intéressait à rien qu’à son look et au sexe opposé. Oui, car la vie de Marion n’était faite que de tempêtes et de déceptions amoureuses. Le problème était qu’elle était trop exigeante avec les hommes. Ceux-ci devaient être beaux, assez argentés et super doués au lit. Les hommes ne manquaient pas. Parfois même, elle sortait avec un homme différent chaque soir. Mais il lui arrivait aussi de rester seule pendant deux semaines. Ce qu’elle désirait, c’était de se fixer avec un homme beau, opulent et... vous connaissez la suite. Elle était surtout nymphomane jusqu’au bout des ongles, Marion. Mais en fait, on ne savait pas trop ce qu’elle recherchait.
Elle entreprit de se vêtir. L’heure tournait, cependant elle ne semblait toujours pas pressée. Elle savait qu’au fin fond d’une pièce, dans un service parmi tant d’autres d’un immeuble vétuste, une créature sérieuse entamait les tâches qui lui étaient normalement confiées. Mais tout cela résidait dans son inconscient. Le conscient, c’était le beau, l’agréable, le plaisir de se satisfaire, l’inconscient était ce qui était réel mais qu’elle ne voyait pas ou ne voulait pas voir car cela faisait partie des préjugés moraux dont étaient constitués la vie, la vie des « autres ».
Bien fringuée, bien parfumée, Marion ferma sa porte à 9h40. Alors impossible d’arriver pour 9h !
Marion était du genre à aguicher le client au premier coup d’œil. Et lorsque celui-ci voyait son avenir défaillir par ce simple regard, il attaqua aussitôt. Patience ! Il faut savoir attendre et se languir c’est encore mieux ! Lorsque les hommes se manifestaient en répondant à ses avances d’une manière pressante, elle les larguait. Elle n’allait tout de même pas s’encombrer de spécimens sur le chemin du bureau ! Elle était déjà assez en retard comme cela.
Marion était une jeune femme ne manquant pas de qualités. Elle était très douée pour mettre au point des scénarios dans sa tête mais qui ne tenaient pas la route lorsque l’heure de vérité s’amorçait. Le tout c’était de ne pas hésiter sur les mots et les situations et de faire craquer le destinateur. Elle savait déjà quoi répondre concernant son retard car l’imagination ne manquait pas et faisait partie de son registre.
Lorsqu’elle arriva sur les lieux du crime, le bourreau l’attendait avec son gourdin !
Elle s’approcha rouge d’émotion et ne regarda son supérieur hiérarchique qu’en posant son sac.
vous avez vu l’heure ?
Je sais, mais...
mais quoi ?
J’ai eu des problèmes très graves ce matin et...
Et demain ce sera quoi ? Allez ouate, au travail !
Marion oublia vite cet incident qui ne représentait aucune importance à ses yeux. Ses yeux qui étaient si beaux comme ceux de.....
Elle entendit quelques sons de voix dans le bureau voisin et décida d’aller aux nouvelles. Le bonjour matinal retentit dans la pièce, puis les conversations reprirent. Lorsque Marion s’aperçut qu’elle n’était pas le centre d’intérêt, elle regagna son bureau. D’habitude, Maud la questionnait sur sa soirée, qui avait-elle vu ? Qu’avait-elle fait ? Ou elle lui faisait un compliment sur son physique ou sa tenue vestimentaire. Là rien ! De rage, elle se jeta sur le téléphone et y passa toute sa matinée.
Marion était un exemple précieux dans l’administration, c’est avec des personnes agissant comme elle qui cassaient sa réputation.
C’est la première fois que Maud agissait ainsi à son égard. Avait-elle dit quelque chose qui n’allait pas ? Et puis zut ! « Miroir je suis toujours la plus belle » pensa-t-elle. Elle n’avait pas à se soucier de ces stupidités qui l’agaçaient au plus haut point. L’heure du déjeuner approchait et Marion sentit soudain son estomac sur les talons. Elle téléphona à l’horloge parlante car de montre nenni ! Et appris qu’il était à peine midi. Elle avait l’impression qu’une éternité s’était écoulée ! Le travail s’amoncelait sur son bureau et pourtant elle n’avait pas l’âme à cela. Elle rêvait d’être un jour kidnappée par un prince et de vivre dans une aisance confortable. Les hommes qui l’abordaient dans le métro croyaient à ce qu’elle leur racontait : elle travaillait dans une multinationale et était le bras droit du patron. Ils étaient fascinés. Communiquer avec des inconnus n’était pas un problème et encore moins jouer un rôle qui la mettait en valeur à tout point de vue.
Et les années passaient, mais elle ne changeait pas. Certaines mauvaises langues auraient pu lui donner 12 ans d’âge mental. Au début, on rit, on plaisante, on se félicite même d’avoir un phénomène aussi plaisant et drôle à écouter, mais chacun sait que la routine lasse d’autant plus que les mêmes mots et les mêmes phrases viennent alimenter et illustrer l’histoire qui se révèle de plus en plus ridicule !
Non Marion, de cette manière tu n’y arriveras pas, car elle peut faire mal Marion ! Surtout lorsqu’il s’agit d’argent. Elle peut détourner les intérêts des autres même lorsqu’il s’agit d’amie proche. Sa pauvre maman a eu beaucoup de mal à l’élever et c’est avec pas mal de patience et de sacrifice qu’elle y est parvenue. Elle n’a pas su lui transmettre le sens de la propriété, le respect des autres. Non Marion n’a rien, n’est rien et ne sera jamais quelqu’un, car être quelqu’un c’est autre chose, car voyez-vous, Marion attend toujours le prince charmant.