Le professeur se leva de son siège et sortit sur la plage.
Il ne portait pas de livres ; il ne regardait pas le lac ; il regardait 3mi.
Il enjamba ... son propre cadavre ... sans un regard pour le fouillis de connexions qui s’échappait du tronc sans tête.
Il fallut à 3mi quelques secondes pour comprendre, le temps que sa pensée chancelle entre ses idées troublées ... Il avait abattu soit un clone, soit un droïde ... Probablement un droïde ... Et le Tue-en-ville était vide.
Il ne lui restait d’issue que l’affrontement physique, à l’ancienne ... Aucun problème, il était entrainé et plus jeune que l’homme qui s’avançait vers lui. 3mi se redressa, se mit en posture Heiko-Dachi, et fixa l’adversaire dans les yeux, se tenant prêt à anticiper toute action de sa part.
Il voulait partir en vacances, merde ! Et pour ça, il avait besoin de la prime.
Le Prof était à la bonne distance, observant paisiblement 3mi. Ce dernier fit deux pas en avant et attaqua directement par Mai-Te, à une vitesse telle qu’un œil humain n’aurait pu décomposer le mouvement.
Mais qui a dit que l’œil du Professeur était humain ?
Quoiqu’il en soit, 3mi ne rencontra que le vide et retomba lourdement sur le sable.
Souplement, il se releva et se rua sur le prof de toute la puissance de ses 120 kilogs ... Le Professeur recula d’un pas, d’un seul petit pas, et repoussa 3mi d’une main. Puis cette main se referma et prit 3mi dans un étau. Une voix douce dit : « Suivez-moi, 3 688 212, je vais vous conduire à celui que vous voulez voir ». Puis le paysage sembla se dissoudre, le soleil de mort éclata et 3mi perdit conscience tandis qu’un oiseau-moqueur lançait son cri.
***
Le Professeur -le vrai- s’adressait à 3mi. Ses cheveux longs et gris, mais soignés, sa courte barbe, ses yeux vifs et brillants, son parler précis en anglais classique du 20e siècle, tout révélait l’indocile, comme les innombrables livres-papier qui habitaient son immense bibliothèque. Le soleil du couchant, filtré par les vitres anti-UV, éclairait une vaste pièce dans laquelle deux hommes, un droïde et une chose indéterminée, se tenaient ; deux assis, deux debout -si l’on peut dire, s’agissant de la « chose » ; et leurs ombres s’allongeaient sur le sol.
3mi était assis sur un rayon-fauteuil, face au Professeur. Le droïde posait doucement sa main sur son épaule et 3mi n’ignorait pas qu’au moindre mouvement menaçant de sa part, cette main lui briserait les os.
Comment 3mi savait-il qu’il avait en face de lui le véritable Professeur ? Il savait, voilà tout. Comme il savait, ou commençait à comprendre, qu’il ne sortirait pas moralement indemne de cette mission ...
Le Professeur parlait calmement, sans ouvrir la bouche, en regardant 3mi dans les yeux. Au passage, le cerveau de 3mi enregistrait des mots qu’il n’avait pas l’habitude d’entendre : « paix », « beauté », « solidarité du vivant », « équilibre », « développement durable », « justice », « liberté », « civilisation », « culture » ...
Le Professeur « parla » longtemps dans la tête de 3mi. La Chose semblait écouter, elle aussi. Sur l’épaule de 3mi, la pression douce de la main du droïde était toujours égale, presque une caresse -redoutable. Les ombres avaient depuis longtemps disparu du sol, et une Lune rouge avait remplacé le soleil dans le ciel nocturne. Une lumière douce, qui ne causait pas d’ombres, régnait dans la pièce. Elle émanait des êtres eux-mêmes. Et plus le Professeur « parlait », plus cette lumière brillait.
***
L’aube accrochait ses perles au front de la montagne lorsque 3mi se leva. La main du droïde avait quitté son épaule. Le Professeur s’était tu et ses yeux s’étaient clos. La Chose glissa jusqu’à 3mi et le regarda. Elle l’investit et l’accueillit au sein de l’Un.
3mi se leva et sortit pour accomplir la plus grande mission de sa vie. Il savait maintenant pour quoi il vivait, pourquoi il marchait, et vers quel but.
Prochain épisode : LA SOLUTION FINALE.