« Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver... »
Mon pays c’est nulle part.
Comme le chat de Kipling, tous les lieux se valent. Et je sais leur tourner le
dos sans désespoir.
Tropiques alcoolisés, équateur aux verdures épaisses d’épouvante et aux silences
subits ou menaçants, douceur de l’Europe. Tout m’irait.. mais.. Il y a ce manque
inscrit dans mes gènes.
Ce pays de neige et de vent tranchant les glaciers, ce pays de loups attendant
leur heure. Quand j’entends la voix de Gilles Vignault dans cette chanson,
cette voix de tessiture si courte, si puissante pourtant, éraillée de hurler la
liberté du Poète, cette voix aux cassures imprévisibles et sans affectation,
cette voix qui sort de sa tripe pour aller sans détour ni pudeur dans les
miennes, mon corps entier a mal à ce pays qu’il lui reste à me dire.
« Mon chemin, ce n’est pas un chemin, c’est la neige.. »
Aussi dansant que les flocons se posant ce soir dans mon jardin fut mon chemin.
De danses joyeuses ou mélancoliques, mais de danses fait.. Aux rencontres
magnifiques, toutes plus nourrissantes les unes que les autres, toutes
exceptionnelles.Certaines emportées par des bourrasques, certaines ont fait mal
sur le moment, Il ne m’en restera qu’une idée de blancheur. Rien de noir dans
ces étreintes amicales ou amoureuses, rien qui fasse mal, rien qui coupe. Juste
le sentiment d’avoir eu plus que quiconque de la chance.
« Dans la blanche cérémonie où la neige au vent se marie ..mon père a fait bâtir
maison »
L’envolée de cette phrase, sa révérence en même temps, ce double mouvement vers le haut et le bas me mettent dans un état de joie profonde que je ne suis
jamais parvenue à expliquer . J’aurais pu me plonger comme autrefois dans les
manuels de musicologie qui encombrent mon armoire, décortiquer ce chromatisme
qui se développe par paliers - sur la tierce, la quarte, la quinte, j’aurais pu
comparer avec d’autres usages du procédé .. Je n’ai jamais pu aller au-delà de
la simple émotion. Cette phrase me plie en deux . Ne pas chercher à comprendre
ce à quoi elle me renvoie. Rester sur le mystère. Garder la blancheur de ce
mystère intacte et la choyer comme on aime quelqu’un en silence.
« Et je m’en vais être fidèle à sa manière à son modèle, la chambre d’amis sera
telle que l’on viendra de l’horizon pour s’endormir à côté d’elle .. »
Je sais d’où me vient mon extrême sensibilité au mot « horizon ». Ouverture,
but, chemin, tout en un seul mot. Le temps tout entier d’une vie dans ce seul
repère spatial.
Gilles... tu permets que je t’appelles Gilles ? Dans mon cœur tu es frère de
terre, frère de froidure et de neige, frère loup, au chant si fragile et si
dense.. Ces écorchures que j’entends dans ta voix, ton visage aux yeux si purs,
ridé d’un grand souci pour notre belle terre, tes mots qui sont si simples mais
vont droit au but, encore aujourd’hui quand je les écoute, Gilles, je pleure.
Ils me donnent souvent le courage de continuer la route quand la tentation
vient d’interrompre le voyage..Heureuse que tu existes, Gilles, heureuse...
Mon pays....